A l’ombre des banques centrales


Finance


14 janvier 2014

Seuls véritables pilotes dans l’avion de l’économie mondiale, les banques centrales semblent avoir atteint les limites de leur pouvoir. La FED américaine hésite à modérer sa périlleuse politique expansionniste ; la BCE se montre agressive, mais se trouve désormais bridée par le regain allemand d’orthodoxie.

Reconnaissons-le : les commentateurs économiques d’aujourd’hui peuvent se consacrer exclusivement à l’observation des banques centrales. Ce sont elles qui mènent la danse dans tous les grands pays, les gouvernements étant focalisés sur la situation du Trésor, tout occupés à imaginer de nouveaux impôts qui ne fassent pas trop « couiner » les contribuables. Il en résulte que les médias discourent des accidents de ski ou des virées à scooter des dirigeants, plus que de leur politique économique. La planète entière continue donc d’être complètement dépendante de la générosité des instituts d’émission. Ce pourquoi les observateurs attendaient avec impatience la publication des minutes de la réunion de décembre du FOMC (Federal Open Market Committee, l’organisme en charge de la politique monétaire américaine). Ceci dans l’espoir de voir précisés les motifs du revirement de la FED, qui avait récemment annoncé une (modeste) réduction de son quantitative easing (le rachat mensuel de bons du Trésor et de créances hypothécaires), ainsi que le rythme des restrictions futures éventuelles. Glossateurs et exégètes sont restés sur leur faim : aucune indication sur le calendrier prévisionnel du tapering, pas davantage sur les raisons qui le justifient. Tout au plus les analystes ont-ils eu droit, peu après, aux déclarations enflammées de Janet Yellen, qui présidera la FED dès la fin janvier : elle anticipe une forte croissance, cette année, de l’économie américaine. Des prédictions que les premières statistiques de l’année viennent conforter, avec une vigoureuse amélioration du marché de l’emploi en décembre 2013. Laquelle doit, toutefois, être considérée avec prudence : décembre est traditionnellement un mois de recrutements intensifs mais temporaires – vendeurs, magasiniers et… Pères Noël, pour accompagner la dynamique du commerce en fin d’année.

Ainsi, la principale raison du probable changement de cap de la FED, c’est que l’efficacité de la planche à billets décroit dans le temps. Dès lors que perdure la politique monétaire fortement expansionniste, les dommages collatéraux prennent le pas sur les bienfaits attendus. Il n’empêche que le ton général des minutes du dernier FOMC tranche avec la volonté de « transparence » récemment revendiquée par Ben Bernanke. L’impression qui domine, c’est le flottement. Lequel est bien compréhensible : tous les membres du board de la FED sont conscients des dangers de leur politique ultra-accommodante. Mais ils sont aussi nombreux à redouter les effets dépressifs, sur Wall Street, de la fermeture du robinet à liquidités. Pour que la transition s’opère sans dommages, il faudrait que les souhaits de dame Yellen soient exaucés, et que l’Amérique entame un cycle de forte prospérité. Il est encore beaucoup trop tôt pour préjuger d’une telle éventualité.

La BCE sous tutelle

En Europe, la dernière réunion de la Banque d’Angleterre s’est tenue dans la stricte continuité des précédentes. Pas d’inflexion stratégique ; pas de modification des taux directeurs, bien que les signaux de reprise soient déjà présents. Un attentisme prudent. La BCE, au contraire, a tenu à rappeler son volontarisme : « Nous avons le mandat d’assurer la stabilité des prix. Dans les deux directions. Et je veux être clair : tous les instruments autorisés par les traités sont éligibles à notre action », a déclaré Mario Draghi. En faisant référence aux « deux directions », le président a expressément évoqué le nouveau ralentissement de l’inflation dans l’Eurozone (0,8%), qui laisse pointer le risque très redouté de la déflation. Contre laquelle la Banque centrale serait encouragée à mobiliser de « nouveaux instruments », pour peu que ces derniers soient autorisés par les traités, comme l’a prudemment avancé Draghi afin de ne pas mettre le feu à ses relations déjà tendues avec l’Allemagne. C’est bien là le problème. En l’état actuel, il ne saurait être question de recourir massivement aux moyens « non conventionnels » mobilisés par les Etats-Unis et le Japon.

Déjà partisane de l’orthodoxie, Merkel a plutôt durci ses positions depuis les dernières élections, en phase avec la grande majorité de l’opinion publique allemande (inquiète des conséquences dommageables, pour le contribuable teuton, d’une trop grande « solidarité » européenne). Il en est résulté que les grands chantiers communautaires (le Mécanisme européen de stabilité, MES, et l’Union bancaire) se sont pour l’instant soldés par des dispositifs a minima – très en-deçà des normes requises pour sécuriser le système financier européen, en dépit de l’autosatisfaction exprimée par les Etats-membres. De fait, contrairement aux allégations de Draghi qui se dit prêt à « une action décisive », si nécessaire, la BCE ne dispose réellement que de moyens limités, d’autant qu’avec un taux directeur à 0,25%, les marges de manœuvre en la matière se sont considérablement réduites. Comme si cela ne suffisait pas, le clan des « faucons » au sein du Comité de la politique monétaire vient de se renforcer. Après la nomination du luxembourgeois Yves Merch, l’Allemand Jörg Asmussen (classé « colombe ») vient d’être remplacé par sa compatriote Sabine Lautenschläger, jusqu’alors vice-présidente de la Bundesbank. Et complètement en phase avec Jens Weidmann, le très orthodoxe président de la Buba, dont le signataire a souvent loué l’autorité. Cela ne signifie pas pour autant que l’équilibre du board de la BCE soit bouleversé. Mais si la voix de l’Allemagne compte comme n’importe quelle autre, son audience n’est pas tout à fait égale à celle de ses homologues. Il devient ainsi douteux que notre Banque centrale emprunte des voies plus hasardeuses que celles suivies jusqu’à ce jour. Il est donc improbable qu’elle engage une « action décisive » si la conjoncture venait à se dégrader.


Jean-Jacques Jugie