Le notariat refuse certains droits aux pacsés


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7 juin 2010

Réunis en congrès à Bordeaux, 3 600 notaires étaient appelés à se prononcer sur plusieurs propositions de modernisation du droit en matière de vie de couple. Si la plupart des résolutions préparées par l’équipe du congrès ont été adoptées, deux vœux, améliorant le sort des pacsés, ont été rejetés.

Le couple n’est plus ce qu’il était. Dans son court propos de bienvenue, face aux 3 600 notaires qui entamaient à peine leurs travaux, le 31 mai, le maire (UMP) de Bordeaux, Alain Juppé l’a rappelé. « Au 19ème siècle, se marier à 25 ans, compte tenu de l’espérance de vie, donnait la perspective d’une vingtaine d’années de vie commune. Aujourd’hui, on vit jusqu’à 80 ans, ça fait beaucoup de temps à passer ensemble », a souri l’ancien Premier ministre, lui-même divorcé et remarié.

Les notaires ne peuvent plus ignorer ces changements de société. « La conception du couple a explosé pour former une pluralité jamais vue auparavant », affirmait le notariat quelques jours avant le congrès. Depuis plusieurs mois, une équipe d’une dizaine de praticiens planchait sur « les défis de la vie à deux », espérant faire voter par l’assemblée des notaires présents à Bordeaux une vingtaine de propositions visant à améliorer le droit existant.
Les praticiens ont l’habitude des vies de couple mouvementées, en tous cas de celles de leurs clients. Ils tiennent désormais compte, dans la rédaction des actes qu’ils établissent quotidiennement, du Pacs, contracté en 2009 par près de 350 000 personnes, mais aussi de la généralisation de la vie commune hors mariage. Face à des situations plus complexes qu’autrefois, ils ne parviennent pas toujours à faciliter une succession, assurer la garantie du maintien dans le logement commun ou éviter une double imposition, sauf à imaginer des montages juridiques inattendus et imparfaits. Jean-François Sagaut, notaire à Paris et rapporteur général, assure que l’équipe du congrès s’est inspirée de ces cas pratiques pour élaborer les 21 propositions soumises à la sagacité de ses confrères.

Droit au logement

Le praticien savait qu’il devait naviguer avec prudence. Car le sujet est sensible. La plupart des notaires se sont opposés au pacte civil de solidarité (Pacs) dès sa création, il y a dix ans, et ne manquent pas une occasion de manifester leur désapprobation face à cette « anomalie juridique », ainsi qu’il est convenu de parler du partenariat dans les couloirs du congrès. Chacun des trois types d’union, affirme Jean-François Sagaut, « correspond à des finalités différentes ». Si le mariage constitue « un statut, contraignant et protecteur », le Pacs est « un contrat » et le concubinage « un fait juridique ». Tout au long des débats, les notaires en charge de l’animation du congrès rappelleront à leurs confrères leur volonté de maintenir cette « hiérarchie ». Sans toujours parvenir à les convaincre. Ainsi, la majorité des congressistes a rejeté deux propositions concernant les droits des pacsés en cas de décès de l’un d’entre eux. La première de ces résolutions devait accorder au partenaire survivant la pension de réversion, un avantage dont bénéficient les seuls couples mariés. La situation actuelle, soulignait l’équipe du congrès, « peut apparaître comme une inégalité, objet de futurs contentieux » et a d’ailleurs déjà été signalée par la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) et le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye. Lors de la discussion, la plupart des intervenants se sont prononcés en faveur de la proposition. Seul le professeur émérite Philippe Malaurie a pris la parole pour redire qu’il « ne comprend pas » la nécessité du Pacs. Au moment du vote, une majorité silencieuse, mais nette, a voté contre.
Le deuxième vœu rejeté se situait dans la lignée du « droit au logement » qui a désormais une valeur constitutionnelle. Le partenaire survivant et les enfants élevés par le couple devaient être autorisés à conserver le logement commun après le décès. L’équipe avait prévu de donner aux pacsés la possibilité de se conférer un droit viager optionnel. La discussion, animée, a opposé ceux qui, à l’instar de Michel Giray, notaire à Paris, refusent de « donner au contrat de la précarité des effets durables » et ceux qui rappellent, comme Ludovic Duret, notaire à Melun (Seine-et-Marne) que « les gens ne comprennent pas que le Pacs ne donne pas ce droit ». Sans prendre position, Sébastien Huyghe, député (UMP) du Nord et notaire de formation, a résumé : « donner une vocation successorale aux partenaires, c’est un véritable choix politique ». Les notaires ont voté contre.

L’art de la répétition

Toutes les autres propositions, comportant une charge symbolique moins forte, ont été adoptées. Les notaires ont ainsi accepté d’aligner le statut fiscal des concubins sur celui des époux et des pacsés. Certaines dispositions, plus techniques, visent par exemple à imposer aux partenaires de liquider leurs intérêts patrimoniaux au moment de leur séparation, ce que le Code civil ne leur demande pour l’instant pas. Les notaires demandent aussi une facilitation des liens qu’ils entretiennent avec les services de l’état civil des mairies. Ces flux, qui totalisent 60% des échanges de ces services avec l’extérieur, pourraient être « dématérialisés », suggèrent les praticiens.
Malgré l’attention soutenue portée aux travaux par les notaires présents à Bordeaux, l’équipe du congrès ne peut cacher sa déception. Ainsi, Hugues Lemaire, notaire à Comines (Nord) et rapporteur de la troisième commission, « regrette que la profession n’aille pas dans le sens des intérêts de sa clientèle ». Jean-François Sagaut ne désespère pas que ses idées feront leur chemin. « La pédagogie, c’est l’art de la répétition », assure-t-il.