Alléluia ! le FESF est né


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15 juin 2010

L’Europe vient d’accoucher de son Fonds de solidarité financière. Le baptême a été retardé, dans l’attente de la bénédiction par les agences de notation. Ce sera un vrai sacerdoce pour le Directeur de ce fonds d’offrir les garanties d’honorabilité exigées. Car face aux évangiles de l’argent, tous les parrains, ou presque, sont de vrais mécréants.

Un nouveau « véhicule spécial » vient de naître. L’industrie automobile n’y est pour rien : on doit sa création à l’activité industrieuse de l’Union européenne, qui a fini par accoucher d’une entité ad hoc de droit luxembourgeois (in english : special purpose vehicle, SPV), afin d’habiller la solidarité promise aux Etats-membres dans le besoin : le Fonds européen de solidarité financière (FESF). L’idée est ici d’offrir une notation optimale à un emprunteur « fédérant » les diverses signatures de l’Union, alors qu’une nation décotée aurait, seule, des difficultés à trouver des financements sur le marché, ou se verrait imposer un taux d’intérêt prohibitif. A noter toutefois que cette coopérative de cautions sera, comme nous l’avons déjà pronostiqué dans ces colonnes, à solidarité limitée : chaque Etat ne sera engagé qu’à hauteur de sa quote-part dans le SVP – grossièrement, le niveau de son poids économique dans l’Union. Ce n’est donc pas une « caution solidaire et indivisible » : ce dispositif laisse toute sa place au bénéfice de discussion. Comme il faut bien admettre que rares, sinon inexistants, sont les Etats-membres pouvant se prévaloir d’une solidité financière à toute épreuve, on peut se demander sur quoi pourra bien reposer la confiance en cette mutualisation du risque, d’autant que les mieux nanties des cautions ne seront que très partiellement engagées. Eh bien, voici la réponse : il est prévu d’encanailler des « rehausseurs de crédit » (in english : monoliners), chargés d’apporter (moyennant rétribution, bien sûr), la garantie supplémentaire de leur auguste signature. Laquelle s’est pourtant nettement altérée, depuis que les rehausseurs ont dû reconnaître qu’ils étaient partie prenante dans la titrisation des opérations « subprime », et à ce titre méchamment exposés à des pertes abyssales.

Sans vouloir médire, ni invoquer pour l’occasion le maître Madoff, on peut assimiler le processus européen en cours à une opération de cavalerie de fidéjusseurs, les cautions successives étant aussi peu fiables que les débiteurs principaux. Voilà pourquoi, dans un accès de lucidité qui les honore, les dirigeants européens vont charger le futur directeur du FSEF d’engager « rapidement une négociation avec les agences de notation afin de déterminer la note de crédit dont pourra bénéficier ce Fonds lorsqu’il émettra ses obligations ». En d’autres termes, il s’agit de demander aux notateurs comment les garanties devront être ficelées pour que ces « eurobonds » bénéficient de la cote maximale, le fameux AAA qui autorise l’emprunt à un taux attrayant. On souhaite bon courage à ce futur directeur : il n’y a guère qu’une caution divine qui puisse remplir cet office, et il est à craindre que le Pape ne soit pas disposé à intercéder en sa faveur.

La cavalerie en marche

La « confiance des marchés » étant devenue l’obsession de tous les dirigeants, un consensus s’est dégagé au sein du G20 pour que les Etats retrouvent des finances « viables ». Sous-entendu : tel n’est pas le cas aujourd’hui, merci de l’avoir reconnu. Et comment fait-on, s’il vous plaît, pour viabiliser des bilans publics agonisants ? L’austérité. Aujourd’hui, l’austérité est à la gestion publique ce que le poumon était à la médecine de Molière. Reconnaissons tout de même que la démarche ne manque pas de bon sens : lorsque les comptes sont exagérément déséquilibrés, il faut bien consentir des sacrifices pour espérer leur rétablissement. Mais c’est précisément sur les moyens envisagés que l’on doit s’interroger : jusqu’à maintenant, il est surtout question de sabrer les dépenses. Pour confirmation, sans doute faut-il attendre le contenu des plans annoncés en Grande-Bretagne, où la situation est alarmante, et en Allemagne, où l’enjeu a été chiffré par Angela Merkel à… 80 milliards d’euros – ce qui n’est pas rien, même pour la première économie d’Europe. Selon le nouveau Premier ministre anglais, David Cameron, les décisions à venir « vont toucher tout le monde ». Pour l’Allemagne, rien de précis n’a encore filtré, sauf la réduction de l’effectif de fonctionnaires. Mais comprimer la dépense, c’est à coup sûr aggraver la récession en cours. Si tous les Etats adoptent la même stratégie, ce sera sanglant.

L’autre voie possible, consistant à accroître les recettes, est pour l’instant abordée avec timidité. Au nom de la « concurrence fiscale », authentique dommage collatéral de la globalisation, qui pousse les gouvernements à taxer modérément les (très) hauts revenus pour prévenir le risque de nomadisme. Un phénomène général, qui a contribué à la concentration des fortunes, pendant que le pouvoir d’achat du pékin stagne ou s’affaiblit. Sans vouloir jouer à la Pythie de Delphes, il est probable qu’un déséquilibre aussi criant ne pourra perdurer, car il suscite un sentiment croissant, et justifié, d’injustice sociale. En période de vaches grasses, le favoritisme est supportable par ceux qui n’en bénéficient pas ; lorsque la conjoncture devient cruelle, il en va tout autrement. Si bien que, même à contrecœur, il faudra bien que les gouvernements se résolvent à durcir fortement la fiscalité directe, y compris celle des nomades potentiels. Sera-ce suffisant pour « rassurer les marchés » ? Il est permis d’en douter, car les effets dépressifs sur l’activité sont dans ce cas inévitables. Autant le dire tout net : on ne pourra pas digérer l’excès de dettes par une ascèse supportable. Un purgatif sera nécessaire.


Jean-Jacques Jugie