Interview de Fabien Paul, Président du Tribunal de Commerce de Nice


Droit


19 septembre 2016

Fabien paul : "la dynamique freinée mais pas stoppée par l’attentat"
Le président du Tribunal de Commerce de Nice évoque les conséquences économiques de l’attentat, la concurrence du numérique, les lois Travail et Macron

Toujours optimiste pour le tissu économique après l’attentat du
14 juillet ?

Il faut rester optimiste, bien sûr, mais il faut faire attention et serrer les rangs. On ne sait pas encore dans quel état on va récupérer en septembre les entreprises qui se trouvaient à la limite de la rentabilité et qui risquent de tomber en dessous. Il y aura inévitablement des dégâts collatéraux.

Les réactions ont-elles été à la hauteur des enjeux ?
Je pense que les dirigeants ont su prendre des décisions rapides et efficaces. On l’a vu avec des plans de communication, des plans marketing, des actions commerciales. Tout le monde s’est mis autour de la table pour trouver des solutions. Les collectivités locales, mais aussi l’Etat, qui a permis des reports d’échéances d’Urssaf et de Trésor public. Même si reporter c’est reculer pour mieux sauter, cela permet de lisser les passages difficiles et de reprendre après.

Mais le coup de frein sur l’activité est bien réel...
Les indicateurs étaient bons jusqu’au 14 juillet, il y avait une dynamique qui s’enclenchait. J’aurais plutôt tendance à dire qu’elle a été freinée, mais qu’elle n’est pas arrêtée. Mon optimisme sera là. Tout le monde a été très réactif pour amortir le choc.

Taxis, hôtels... L’Ubérisation est-elle un risque pour les entreprises traditionnelles ?
C’est une métamorphose qui nous force à nous adapter. Certains ne savent pas le faire et tombent. Le premier hôtelier de France n’a pas une seule chambre, c’est Airbnb. La première compagnie de taxi n’a pas de voitures, c’est Uber. Le premier commerçant du monde n’a pas une boutique, c’est Amazon. Alors forcément une partie du tissu commercial a des soucis. Les temps changent, les modes de consommation changent, les envies changent : c’est à nous chefs d’entreprises de suivre le mouvement.

Mais la concurrence est-elle loyale entre ces sites et l’entreprise traditionnelle qui n’échappe à aucune taxe ?
A chaque fois, c’est un dévoiement du système. Si Airbnb en était resté à un échange de chambres entre particuliers, ce ne serait pas un problème. Mais aujourd’hui certains font de cette activité une profession. On constate par exemple que (les tarifs du luxe, ndlr) sont en train de se dégrader, et que par effet de cascade, ceux qui sont dessous trinquent.

Les jeunes ont-ils l’esprit entrepreneurial ?
Oui, on trouve chez eux le goût de l’entreprenariat et du risque. La France est un pays leader en création de start-up et de nouvelle économie. Je ressens l’envie d’être autonome, son propre patron, des possibilités ouvertes.

Les entreprises en difficulté n’attendent-elles pas trop pour se placer sous la protection du tribunal ?
C’est récurrent, alors que les procédures sont vraiment bonnes et efficaces pour ceux qui viennent à temps. On a des remèdes pour chaque étape des difficultés. Mais si on attend trop, cela devient plus difficile...

La loi Travail ?
C’est davantage du ressort du conseil de prud’hommes que du TC, on verra plus tard ses conséquences. Mais je peux parler du risque social qui pèse sur les chefs d’entreprises. Combien déposent le bilan, voire partent en liquidation, parce qu’ils font l’objet de condamnations sévères aux Prud’hommes avec parfois des motifs surprenants. Les sommes en jeu peuvent faire disparaître des entreprises. J’ai à l’esprit un exemple précis où une entreprise qui était en sauvegarde a été condamnée. Il y a de belles marques de la Côte d’Azur qui peuvent disparaître à cause de cela. L’indemnisation de deux salariés peut mettre à la rue cinquante emplois...

Le TC de Nice est "spécialisé". Une satisfaction ?
Oui, c’était l’un de mes combats. Cela signifie que les grandes affaires économiques du 06 resteront ici et ne partiront pas à Marseille. Si tel n’avait pas été le cas, cela aurait été une contrainte lourde pour les entreprises et les auxiliaires de justice : 2h30 de route aller et autant au retour... C’est une reconnaissance du travail du Tribunal de Commerce et de la formation poussée de ses juges.

Et le règlement à l’amiable, ça marche ?
Il a été mis en place il y a deux ans avec Pascale Pecha et Alain Vesse. C’est une grande réussite. Un juge conciliateur reçoit les avocats et les parties. S’il y a accord, on peut simplement le constater ou prononcer un jugement qui l’homologue. On a vu des dossiers sortir par la conciliation alors qu’ils auraient pu plomber les deux entreprises. Récemment, un contentieux s’est réglé en dix minutes, lorsque les deux parties ont pu s’expliquer alors qu’il y avait déjà eu trois renvois au tribunal.


Jean-Michel Chevalier