L'administration fiscale

L’administration fiscale 2.0 étend ses outils de contrôle

On connaissait la possibilité pour l’administration fiscale d’évaluer de manière forfaitaire le revenu imposable d’après certains éléments du train de vie d’un contribuable. Mais l’administration fiscale va étendre son champ de recherches d’informations sur les contribuables. C’est l’une des nouveautés phare du Projet de loi de finances (PLF) pour 2020 concernant les pouvoirs de l’administration fiscale. En effet, l’article 57 du PLF prévoit explicitement la possibilité pour les administrations fiscale et douanière de collecter et exploiter les données rendues publiques sur les sites internet des réseaux sociaux et des opérateurs de plateforme".
En d’autres termes, l’administration fiscale va récolter des informations sur les contribuables par l’intermédiaire des réseaux sociaux.

Par Me Julien ALQUIER, Avocat en droit fiscal au barreau de Nice, Chargé d’enseignement à l’Université Nice-Sophia Antipolis, Doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120)

Cette expérience, normalement mise en place pour une durée de trois ans initialement, devrait permettre d’améliorer la recherche d’infractions fiscales et douanières. Mais ce type d’outil au bénéfice de l’administration fiscale existait déjà et ne fait qu’être déployé sur de nouveaux supports. Cependant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est venue se prononcer afin d’émettre certaines réserves.

Un dispositif existant depuis 2013

Le traitement automatisé de données existe depuis 2013 dans l’administration fiscale qui développe l’exploitation de données pour améliorer la détection de la fraude et le ciblage des contrôles fiscaux.
Cependant, l’administration fiscale se trouvait restreinte dans son champ de recherche. En effet, les informations exploitées provenaient de l’administration fiscale elle-même ou d’autres administrations, de bases de données économiques payantes et de données en libre accès. Cela signifiait que l’administration fiscale était limitée à l’exploitation de données déclarées à l’administration ou publiées par des acteurs institutionnels sans pouvoir effectuer des recherches chez les personnes privées. Le PLF vient remédier à cela en autorisant "l’administration à collecter en masse et exploiter, au moyen de traitements informatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale, les données rendues publiques par les utilisateurs des réseaux sociaux et des plateformes de mise en relation par voie électronique".
L’administration fiscale pourra ensuite confier l’exploitation de son patrimoine de données dématérialisées à ses services d’analyse dédiés dans le but d’extraire des connaissances à partir de grandes quantités de données, par des méthodes automatiques ou semi-automatiques. Autrement dit, l’administration fiscale utilisera un ensemble d’algorithmes issus de disciplines scientifiques diverses telles que les statistiques, l’intelligence artificielle ou l’informatique, pour déceler à partir des données des comportements frauduleux de contribuables. Même si ce dispositif semblerait expérimental, pour une durée limitée et mis en œuvre de manière encadrée avec notamment la destruction des données dans un délai de trente jours si elles ne sont pas de nature à concourir à la constatation des infractions les plus graves, et au maximum d’un an, si elles ne donnent pas lieu à l’ouverture d’une procédure pénale, fiscale ou douanière, la CNIL est tout de même venue relever que ce dispositif présente des enjeux très particuliers du point de vue des libertés.

Les réserves de la CNIL

Tout d’abord, la CNIL regrette d’avoir à se prononcer dans des conditions d’urgence, spécifiquement sur des enjeux associés à la collecte massive de données des plateformes en ligne, avec des impacts substantiels sur la vie privée des contribuables. Cela signifie de manière polie que la commission aurait bien aimé être consultée préalablement à la rédaction d’une telle loi afin de se prononcer préalablement et non a posteriori, une fois que le texte est soumis au vote du parlement. Ensuite, la CNIL relève d’emblée dans sa délibération n° 2019-114 du 12 septembre 2019 portant avis sur l’article 57 du PLF pour 2020 que la mise en œuvre de ce type de traitement est d’un genre nouveau tout en précisant qu’il s’agit d’un "changement d’échelle significatif" dans le cadre des prérogatives confiées à l’administration fiscale. Mais plus inquiétant, la commission considère qu’un tel dispositif "traduit également une forme de renversement des méthodes de travail" de l’administration fiscale puisqu’il ne s’agit plus pour cette dernière d’effectuer une recherche ciblée de données concernant un contribuable lorsque des
suspicions d’infraction préexistent. Désormais, l’administration fiscale réalisera une collecte générale d’informations contenues sur des plateformes en ligne afin de faire ressortir, à l’aide du traitement automatique de ces données, un comportement prétendument frauduleux dans l’objectif de lancer un contrôle. Enfin, la CNIL émet plusieurs réserves quant au traitement des données récoltées par l’administration fiscale en reconnaissant qu’ils sont "susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés" des contribuables.

Selon la commission, ces traitements automatisés interviendront "bien au-delà du périmètre des données susceptibles d’avoir une incidence en matière fiscale et douanière, dans le champ des libertés publiques des citoyens" avec notamment "une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel" qui risque grandement d’être provoquée. Aussi, la CNIL sollicite des précisions sur la notion de "contenus librement accessibles publiés sur internet" qu’elle demande au législateur de détailler.

La CNIL réclame donc plus de garanties au gouvernement afin que cette expérience de l’administration fiscale nouvelle génération ne devienne pas le Big brother du futur.

Visuel de Une (illustration) DR

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