Recrutement : peut-on

Recrutement : peut-on poser toutes les questions au candidat à un emploi ?

  • le 19 octobre 2010

Des limites sont posées par la loi sur les informations que l’employeur peut recueillir auprès d’un candidat, lors de l’entretien ou dans les questionnaires d’embauche. Revue de l’essentiel.

Le chef d’entreprise ou le DRH qui cherche à pourvoir un poste peut-il poser toutes les questions aux candidats ?

La réponse se situe, en fait, à l’article L 1221-6 du Code du travail qui précise : « les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ou à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat à un emploi ou le salarié est tenu d’y répondre de bonne foi ». Il convient donc de distinguer les questions permises et interdites.

Les questions permises

Il s’agit en premier lieu des questions relatives à l’état civil du candidat ainsi qu’à ses diplômes. Sur ce dernier point, pour la jurisprudence, toute information inexacte ou mensongère, comme le fait de se prétendre faussement titulaire de certains diplômes, caractérise un manque de loyauté, de nature à justifier un licenciement pour faute grave, mais sous la condition expresse que cette tromperie ait été un élément déterminant dans la conclusion du contrat de travail (ainsi, ne saurait être déterminant le fait pour un candidat de mentir sur son grade de militaire de réserve). Il est, en outre, évident que lorsque le diplôme ou l’absence d’antécédents judiciaires est une condition légale à l’emploi, il appartient à l’employeur de contrôler la qualification de la personne qu’il souhaite embaucher. A défaut de satisfaire à cette vérification, aucune faute ne peut être retenue à l’encontre du salarié.
Sont également autorisées, les questions relatives aux antécédents professionnels ou à l’existence d’une clause de non-concurrence.

Les questions interdites

Elles concernent surtout la vie privée du candidat. Selon l’article 9 du Code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». De plus, suivant l’article L 1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement « en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, en raison de son état de santé ou de son handicap ».

En conséquence, il est clair que sont à proscrire les questions relatives à l’origine sociale et ethnique du candidat ainsi qu’à ses mœurs. On peut également se demander si l’employeur est en droit d’interroger le candidat sur sa situation matrimoniale ou sur le nombre de ses enfants. La réponse semble être positive. En revanche, il n’a pas à savoir si une candidate est fiancée ou va se marier, ces circonstances étant sans rapport avec l’exécution du travail. Quant à l’éventuel état de grossesse, on sait que la femme candidate à un emploi ou salariée n’est pas tenue de révéler cet état. Le chef d’entreprise ne peut donc questionner une candidate à ce sujet. Toute mention en ce sens dans les questionnaires d’embauche est donc interdite.
La loi interdit aussi de prendre en considération l’état de santé d’une personne pour refuser de l’embaucher. La visite médicale d’embauche a simplement pour but de vérifier l’aptitude physique du salarié à son emploi. Seul assouplissement toléré par la jurisprudence : le fait pour un candidat de dissimuler une maladie ou un handicap incompatible avec l’exercice du travail à effectuer constitue une faute justifiant son licenciement ultérieur (cass. soc. 23 février 1983).

La solution est identique pour les convictions religieuses : toute question de ce type est formellement interdite. Et le silence de l’intéressé sur ce point ne saurait lui être ensuite reproché. De même, les questionnaires d’embauche ne peuvent comporter de questions relatives à l’affiliation syndicale des candidats, à leurs opinions politiques voire au montant de leurs revenus.

Le CV anonyme en débat

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le CV anonyme ne fait pas l’unanimité. A l’étranger, la Belgique est le seul pays à avoir instauré une obligation d’y recourir, depuis 2005, mais uniquement dans le cadre du service public. Pour les autres Etats, deux catégories peuvent être retenues : ceux qui ont tenté l’expérience, et ceux qui n’ont rien fait, comme l’Allemagne et l’Espagne. En Suède, après une expérience menée entre 2004 et 2006, dans la deuxième ville du pays, Göteborg, l’utilisation du CV anonyme n’a finalement pas été jugée suffisamment efficace. En Suisse, la tâche a été déclarée trop complexe par les entreprises. Et les Pays-Bas ont conclu que la décision d’y recourir revenait à l’employeur.

En France, bizarrement le CV anonyme existe déjà : il est prévu par la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006, dans les entreprises de 50 salariés et plus (art L 1221-7 du Code du travail). Ce texte, décidé après la crise des banlieues, avait été voté par le Sénat contre l’avis du gouvernement. Mais, là où le bât blesse, c’est que la loi renvoie, pour son application, à un décret que les gouvernements successifs se sont refusés de prendre jusqu’à présent.

Certains reprochent au CV anonyme d’être un système hypocrite voire démagogique. Il ne permettrait, en effet, de lever les obstacles à l’embauche qu’à une seule étape du processus de recrutement. Or, la discrimination peut intervenir à beaucoup d’autres moments : lors de l’entretien de recrutement avec le service des ressources humaines, lors de la rencontre avec la direction de l’entreprise... Le débat est donc sans fin, entre ceux qui soutiennent que cette solution permet à chacun de tenter sa chance en entretien, et les autres, pour qui il s’agit d’un faux débat ne changeant rien au final. Ce qui est sans doute vrai, c’est que dans les grands groupes ayant adopté le principe du CV anonyme, il n’est pas flagrant que ce procédé ait été considéré comme une « recette miracle » pour lutter contre les préjugés.

Le débat vient récemment d’être relancé par le commissaire à la Diversité et à l’Egalité des chances, qui a préconisé un « élargissement de la pratique ». Et pour cause. En trois ans, seules une vingtaine d’entreprises ont opté pour ce dispositif. Mais ce qui intéressant, c’est la méthode utilisée. En effet, il ne semble plus question de promouvoir le système par décret mais, de l’expérimenter, dans un premier temps, auprès d’une centaine d’entreprises volontaires. A partir des constatations effectuées, devrait être publié un guide de bonnes pratiques.

Par François TAQUET,
avocat,
conseil en droit social

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