Bâtonnier Maurel : "nous

Bâtonnier Maurel : "nous espérons mieux du nouveau ministre"

Le confinement ?

Un moment difficile pour la profession, et ses conséquences le sont plus encore maintenant. Au plus fort de la pandémie, si les audiences pénales se sont tenues, le civil a été paralysé par l’inadaptation des process informatiques judiciaires qui n’ont pas permis le télétravail.
À partir du moment où les greffiers et les juges ne pouvaient pas, depuis chez eux, pour des raisons de sécurité informatique, travailler leurs dossiers, le télétravail s’est avéré un handicap pour faire évoluer les audiences. Les 163 tribunaux judiciaires ont été livrés à eux-mêmes. Il y a eu 163 façons de gérer la crise alors que l’on se retrouvait tous sur les mêmes problématiques.
À Grasse nous avons travaillé en partenariat avec les juges et les greffiers afin de trouver des solutions et permettre de poser les bases d’une reprise judiciaire dans l’intérêt du justiciable. À mon sens, la Chancellerie a abandonné les magistrats et les greffiers, elle avait déjà abandonné les avocats depuis longtemps...

Vous parlez de process, c’était donc également un problème de matériel ?

Tous les cabinets d’avocats sont prêts pour le télétravail. Nous avons des logiciels, des outils informatiques qui ont été élaborés par le CNB. Il s’est avéré que, du côté du ministère de la Justice, seule la chaîne pénale a été opérationnelle au niveau des outils. Les audiences se sont tenues en "présentiel", avec tout le risque sanitaire qui s’en suivait, car au début de la crise ni le personnel pénitentiaire, ni les services de police, ni les magistrats et les greffiers, ni les avocats ne disposaient de matériels de protection. Les comparutions immédiates se sont tenues dans ces conditions des plus critiquables. Confrontés à ces difficultés, nous avons organisé un véritable dialogue et des réunions de travail entre membres du Conseil de l’Ordre et magistrats pour identifier dans chaque matière les problématiques afin de reprendre si possible des audiences mais sous l’ère des procédures sans audience.

Quid du commerce et des prud’hommes ?

Avec l’aide de leurs greffes et d’Infogreffe, les tribunaux de commerce ont fonctionné en visioconférence pour certaines audiences, mais beaucoup ont été reportées.
Les prud’hommes ont été particulièrement touchés par l’immobilisme. Ils ont été abandonnés. Ce sont des magistrats non professionnels qui n’ont reçu aucun soutien. Ils ont donc été obligés d’annuler purement et simplement les audiences. Globalement, les process mis en place pendant cette période sont un sujet de réflexion pour l’avenir, en cas de nouveau confinement, car ils ne sont pas du tout opérationnels.

Qu’en est-il maintenant des stocks ?

Les renvois sont donnés à terme lointain, pour 2021. Du coup, un dossier qui ne sort pas maintenant ne peut pas être facturé, ce qui handicape le fonctionnement de nos cabinets. Ce sont aussi des affaires dans laquelle la justice ne peut être rendue, or une décision rendue trop tard perd de son objectif et de sa force.
À partir de septembre, de concert avec la juridiction, nous espérons trouver des solutions pour résorber le stock.

Comment le Barreau a t-il fonctionné pendant cette période ?

J’ai pu compter sur les équipes du Conseil de l’Ordre qui étaient opérationnelles. Le Bâtonnier que je suis ne s’est jamais retrouvé seul. Nous avons pu organiser certains services en télétravail : le secrétariat, la bibliothèque judiciaire, la CARPA de Grasse qui a toujours fonctionné en présentiel avec des moyens réduits et les mesures de sécurité. Nous avons réussi à faire fonctionner l’Ordre au service des confrères.

Avec le "ralentissement", certains cabinets d’avocats sont-ils économiquement menacés ?

Certains professionnels se sont effectivement exprimés de façon pessimiste. Le 4ème trimestre est toujours difficile pour les avocats puisque c’est le moment où interviennent les appels de fond des régularisations. Je crains donc qu’en raison du manque de travail facturable, des
cabinets se retrouvent en situation financière très difficile. Je suis inquiet pour les cabinets qui doivent honorer de nombreuses charges avec des salariés et des collaborateurs qui doivent être réglés. Même si l’URSSAF a
accordé des décalages, il faudra bien payer les charges un jour...

Vous avez tout de même reçu des aides de l’État - minimes - comme les autres entreprises...

Cela n’a pas été spontané. Le CNB a dû batailler ferme et je salue son travail ainsi que celui de la Conférence des Bâtonniers et du Bâtonnier de Paris qui ont participé à toutes les réunions avec la Chancellerie dont le premier réflexe a été de nous exclure de toutes les mesures accordées aux salariés et autres composantes du monde du travail au motif que nous sommes des professions libérales. Ce n’est qu’à force de persuasion que nous avons pu obtenir un élargissement des aides aux avocats. Au moment de la grève (des
retraites ndlr), on s’était déjà aperçus que nous étions méprisés.

Comment voyez-vous la reprise de septembre ?

Je la vois avec une certaine anxiété pour mes confrères. C’est la réalité financière qui va s’imposer à chaque cabinet, et pas un cabinet ne ressemble à un autre. Chacun est spécifique, avec ses propres modes de fonctionnement.

La réforme des retraites ?

Nous sortions d’une période de grève longue, dure, et nous avons mené un combat dont nous sommes très fiers pour expliquer que les régimes autonomes comme le nôtre ne sont pas des régimes spéciaux. Après le 49.3 à l’Assemblée, la réforme se trouvait devant le Sénat qui, lui, est favorable à ce que les régimes autonomes soient exclus de la réforme comme on le réclame. C’était donc un moment de pause, nous n’étions plus dans la même stratégie que contre les députés qui, eux, menaient la réforme contre les régimes autonomes dont le nôtre. Nous restons attentifs et mobilisés.

La nomination de Dupond-Moretti ?

Franchement, il faut féliciter notre confrère d’accéder à cette fonction prestigieuse qui récompense un parcours professionnel exemplaire. Il faut aussi le remercier d’avoir accepté de prendre la suite de Mme Belloubet. Surtout au moment où la justice traverse maintenant une crise existentielle profonde. Nous avions le sentiment que Mme Belloubet se comportait comme une fidèle porte-parole du gouvernement et non comme garde des Sceaux conservant une indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Personne ne s’est senti porté ou soutenu par elle. Nous espérons mieux du nouveau ministre et garde des Sceaux...

Propos recueillis par
Jean-Michel CHEVALIER

Photo de Une DR JMC

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