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Compte pénibilité et médecine du travail : des évolutions attendues

Le gouvernement corrige le tir sur le dossier miné du compte pénibilité et entend simplifier les règles en matière de médecine du travail et d’aptitude, via des amendements au projet de loi Rebsamen sur le dialogue social. Des ajustements inspirés de deux rapports, récemment remis à Manuel Valls.

Le compte pénibilité revu et corrigé

La pleine application du compte pénibilité est reportée de six mois. La fiche individuelle perd son caractère obligatoire. L’exposition aux facteurs de risques sera mesurée par catégorie de métiers.

Créé par la loi sur les retraites du 20 janvier 2014, le compte pénibilité permet aux salariés qui ont un métier jugé pénible de partir plus tôt à la retraite (jusqu’à deux ans plus tôt). Egalement de réduire son temps de travail, sans perte de salaire. En accumulant des « points » lorsqu’on exerce longtemps un métier pénible, on peut ainsi passer d’un temps plein à un temps partiel, au même niveau de revenu. Le salarié peut aussi utiliser ce compte pour se former, se réorienter vers un emploi moins exposé.

Devant les difficultés d’application, Christophe Sirugue, Gérard Huot et Michel de Virville ont remis au gouvernement leurs « propositions pour un dispositif plus simple, plus sécurisé et mieux articulé avec la prévention ». N’en déplaise à certains, il n’est pas question de revenir sur ce compte. Pour les auteurs, la pénibilité est un droit pour les salariés. L’objet du rapport est uniquement d’aménager le système existant.

Délai supplémentaire pour les facteurs de pénibilité


Les six facteurs de pénibilité restants (les quatre premiers sont pris en compte depuis janvier 2015) s’appliqueront au 1er juillet 2016, et non pas le 1er janvier. Mais, pour ne pas pénaliser les salariés, le nombre de points acquis lors du second semestre sera exceptionnellement doublé.

Suppression de la fiche pénibilité

Le rapport préconise de supprimer la fiche pénibilité : l’employeur n’aurait plus à établir et transmettre au salarié la fiche individuelle d’exposition. Il déclarerait aux caisses de retraite l’exposition de ses salariés, à charge pour elles d’informer le salarié de son exposition et des points dont il bénéficie. Selon le rapport, cette situation n’entraînera pas de surcroît de travail pour les caisses qui doivent déjà informer le salarié du nombre de points dont il bénéficie chaque année. En pratique, l’employeur effectuerait une seule déclaration et le salarié recevrait de la caisse un seul document d’information récapitulant son exposition à la pénibilité et le nombre de points acquis de ce fait.

Des référentiels de branche

Afin d’évaluer l’exposition de ses salariés, l’employeur pourrait se contenter d’appliquer le référentiel de sa branche (s’il y en a) qui identifierait quels postes, quels métiers ou quelles situations de travail sont exposés aux facteurs de pénibilité. Il n’y aurait plus, pour ces facteurs, de mesures individuelles à accomplir. Une des critiques du compte pénibilité concernait la difficulté pour les petites entreprises d’évaluer le degré d’exposition. Le rapport préconise donc que les branches définissent quels métiers seraient exposés aux facteurs de la pénibilité, au regard des seuils précisés dans le décret, en tenant compte des protections individuelles et collectives. L’employeur pourrait ensuite appliquer ce référentiel sans qu’il s’agisse toutefois d’une obligation. Cette solution s’inspire en grande partie de la proposition de Michel de Virville, qui, il y a déjà six mois, suggérait de mettre en place des « modes d’emploi » de branche. En clair, un maçon qui travaille à temps plein pour son employeur aura droit à tant de points de pénibilité. Problème : la mise en œuvre de ce référentiel risque de prendre du temps. En effet,les branches professionnelles n’ont pas encore défini les fiches de points de pénibilité par métier, ce qui suppose que syndicats et patronat se mettent d’accord. Uniquement dans le bâtiment, il y a plus de 200 modes d’emploi à rédiger !

Sur le facteur de pénibilité « gestes répétitifs », le gouvernement souhaite que les travaux soient approfondis pour aboutir à une définition opérationnelle plus satisfaisante. Une mission particulière formulera d’ici, fin juillet, des propositions permettant d’adapter sa définition à la réalité du travail dans les entreprises industrielles. Enfin, le rapport propose de modifier la définition de certains facteurs de pénibilité

Souplesse dans les contrôles

Compte tenu des modifications proposées et des difficultés de mise en œuvre du dispositif, les auteurs suggèrent que l’administration s’abstienne de tout contrôle spontané des entreprises sur ce sujet, les deux premières années de son déploiement.

Autre mesure, la durée pendant laquelle le salarié peut contester ses points serait réduite de trois à deux ans.

Ces différentes propositions font l’objet d’amendements au projet de loi sur le dialogue social en cours d’examen. Certes, le système est simplifié. Cependant, il n’est pas aisé de passer d’un système individuel à un système collectif. Comme dans le système de la retraite amiante, certains dénoncent une bombe à retardement (exemple : dans un atelier, tous les salariés seront concernés, et non uniquement ceux ayant un emploi pénible). Le gouvernement lui table sur deux garde fous : le fait que les référentiels devront être homologués par l’administration et que les employeurs n’auront pas intérêt à déclarer plus de salariés que nécessaire, sauf à devoir payer une surcotisation.

Médecine du travail : surveillance assouplie et ciblée

Le contrôle à l’embauche de l’aptitude serait limité aux salariés qui occupent un poste de sécurité. Une seule visite de reprise suffirait pour constater l’inaptitude du salarié, sauf décision contraire du médecin du travail.

De l’avis général, la médecine du travail fonctionne mal. Non de la faute des médecins du travail mais du fait d’un arsenal législatif inadapté. D’aucuns pointent également, le manque de médecins du travail (selon les dernières données disponibles, l’Hexagone comptait au 1er janvier 5.605 médecins du travail ; leur pyramide des âges est vieillissante avec un âge moyen de 55 ans) et les obligations de reclassement inadaptées.

Quatre ans après la dernière réforme sur la médecine du travail, le rapport, piloté notamment par Michel Issindou, député de l’Isère (PS), et Sophie Fantoni, professeur de médecine du travail, préconise de nouveaux changements. Une partie importante des propositions ne nécessite que des textes réglementaires.

Contrôler l’aptitude de certains salariés seulement

Aujourd’hui, tous les salariés font l’objet d’une visite d’embauche puis d’une visite à intervalle de deux ans. Le rapport propose de limiter le contrôle d’aptitude aux salariés qui occupent un poste de sécurité (pilotes d’avion, conducteurs de train ou grutiers...), à l’embauche (ce contrôle interviendrait avant l’embauche), puis de manière régulière par un médecin distinct du médecin du travail. Les postes de sécurité sont ceux qui comportent une activité susceptible de mettre, du fait de l’opérateur, gravement et de façon imminente en danger la santé d’autres salariés ou de tiers. Ils seront définis par le médecin du travail, sur proposition de l’employeur et s’ajouteront ainsi à ceux déjà définis par voie réglementaire. Ces salariés bénéficieraient alors d’un entretien infirmier, tous les deux ans, et d’une visite avec le médecin du travail, tous les cinq ans. Le gouvernement veut aller vite sur cette première proposition puisqu’un amendement a été déposé, en ce sens, dans le projet de loi sur le dialogue social, actuellement en discussion.

Visite médicale tous les cinq ans

Pour tous les autres salariés, la visite systématique serait remplacée par une visite obligatoire d’information et de prévention, réalisée par l’infirmier en santé au travail, sous la responsabilité du médecin du travail et qui déciderait de la périodicité nécessaire des visites ultérieures. Cette première visite devrait intervenir au plus tard trois mois après l’embauche pour les postes à risque, six mois pour les autres. Elle devrait être renouvelée tous les cinq ans, sauf pour les postes à risques et ceux nécessitant une surveillance médicale renforcée, qui devront bénéficier d’une visite infirmière, au moins tous les deux ans.
Pour la mission, actuellement ,« le décalage est massif » entre le nombre de visites prévues et celles réellement effectuées et la « pertinence » médicale et juridique de la vérification systématique de l’aptitude n’est pas établie.

Des pouvoirs à l’employeur sur la visite de pré-reprise

Actuellement, la visite de pré-reprise est organisée à l’initiative du salarié, du médecin traitant ou de la caisse d’assurance maladie dès lors que l’arrêt de travail est d’au moins trois mois. La mission propose que la visite de pré-reprise puisse être faite à l’initiative de l’employeur, via le médecin du travail, en mettant en œuvre un entretien entre l’employeur, le médecin du travail et le salarié, si ce dernier en est d’accord, après cette visite. Cette visite de pré-reprise devrait être possible même lorsque l’arrêt de travail est inférieur à trois mois. Les efforts de reclassement de l’employeur pourraient être appréciés par le juge à compter de la visite de pré-reprise

Inaptitude, une seule visite de reprise

Une seule visite suffirait pour constater l’inaptitude du salarié, sauf décision contraire du médecin du travail. Dans ce cas, la seconde visite aurait lieu « dans un délai maximum de 15 jours ». Par ailleurs, la mission propose que les recours contre les avis d’inaptitude ne se fassent plus devant l’inspecteur du travail mais devant une commission régionale ou une structure collégiale interne au service de santé au travail, composée de médecins du travail.

Reclassement : allégement des obligations

Le rapport souhaite alléger les obligations de reclassement de l’employeur lorsque celui-ci est vain. Le médecin du travail signalerait, dans son avis d’inaptitude, qu’un reclassement serait préjudiciable à la santé du salarié.
Le refus du salarié d’une proposition d’adaptation du poste de travail ou de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail, lorsqu’elle n’entraîne pas de modification du contrat de travail, constituerait une cause réelle et sérieuse de licenciement. L’employeur serait lui réputé avoir satisfait à son obligation de reclassement. Un amendement en ce sens a été déposé dans le projet de loi Rebsamen, en discussion.

Associer le CHSCT aux préconisations du médecin du travail, en cas de risque

Le médecin du travail, lorsqu’il constate un risque pour la santé des travailleurs, peut proposer par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver. L’employeur doit prendre en compte ces propositions ou faire connaître les motifs de son refus. Toutefois, ce dispositif est aujourd’hui peu utilisé. Le rapport propose de rendre obligatoire la transmission, notamment à l’inspection du travail et au CHSCT, des préconisations du médecin du travail ainsi que la réponse de l’employeur, lorsque celui-ci décide de ne pas y donner de suite.

Obligation d’adaptation des employeurs (en dehors de l’inaptitude)

Le médecin du travail, pourrait, lors de toutes les visites médicales, proposer à l’employeur les mesures individuelles visant la prévention des altérations de l’état de santé du salarié et son maintien dans l’emploi. L’employeur ferait connaître par écrit au médecin du travail et au salarié, dans un délai d’un mois, et après avis des délégués du personnel, les motifs s’opposant à la prise en compte des propositions du médecin du travail si elles doivent entraîner un reclassement. Le médecin du travail indiquera en retour par écrit s’il modifie ou maintient ses préconisations.
On notera que ce rapport a été mal accueilli par la CGC qui souligne que les propositions reprennent les propositions patronales en allégeant le rôle des médecins du travail, ainsi que les obligations des employeurs. Tout se résume en une phrase pour le syndicat des cadres : « on aurait pu améliorer certaines choses, mais là c’est du massacre à la tronçonneuse ! » Le syndicat estime que l’objectif est d’ « éloigner le médecin du travail, ce gêneur, des salariés ».

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