Les enjeux juridiques de

Les enjeux juridiques de l’impression 3D

L’impression 3D consiste à scanner un objet afin de le reproduire, de manière identique, sous forme tridimensionnelle.
Concrètement, l’utilisateur recourt à un logiciel 3D qui traite l’information et développe un fichier de CAO (conception assistée par ordinateur). Ce fichier renferme une image de synthèse en 3D qui sera transférée à l’imprimante 3D. Dès lors, un deuxième logiciel opère la réalisation d’un modèle grâce à la superposition de couches successives permettant ainsi de réaliser des objets comportant des cavités et des éléments de dimension et de couleur précises.

Par Anne-Marie PECORARO - Avocat associé, spécialisé en Propriété Intellectuelle @Turquoise_Law

Il est aussi possible de télécharger sur Internet des fichiers sources permettant de réaliser l’objet en 3D sans le scanner préalablement.

Ouverte à tous

De nos jours, l’impression 3D s’offre à tous, notamment grâce à la démocratisation des machines 3D qui sont désormais vendues à un prix "abordable". On peut aussi avoir recours à des fab labs (laboratoires innovants).
Cette nouvelle technologie présente des possibilités considérables pour les consommateurs à savoir la rapidité de création de l’objet, ou encore la réduction du gaspillage de matériaux. Cela permet à plusieurs opérateurs d’utiliser l’impression 3D dans leur travail. À titre d’exemple certains designers créent des lignes de vêtements ultra personnalisées grâce à l’impression en trois dimensions. En 2013, une créatrice avait même proposé une ligne entièrement réalisée grâce à cette technologie à la Fashion Week de Paris.
Néanmoins, cette innovation présente une menace pour la protection de la propriété intellectuelle. Il apparait alors nécessaire de s’interroger sur les éventuelles solutions permettant d’y pallier.

Les atteintes possibles

L’impression 3D permet de dupliquer n’importe quel objet, ce que les utilisateurs sont tentés de faire avec ou sans l’autorisation du titulaire des droits de propriété intellectuelle sur cet objet.
Ainsi, tous les droits de la propriété intellectuelle peuvent être menacés par l’impression 3D. Il peut s’agir d’une atteinte au droit d’auteur, mais aussi à des marques, à un brevet ou à un dessin et modèle.
En droit d’auteur par exemple, l’impression 3D rentre dans le champ de l’article L.122-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) qui dispose que "la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte". Or, le Code de la propriété intellectuelle déclare illicite toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur.
Outre la menace qui pèse sur les droits patrimoniaux de l’auteur, ses droits moraux n’en sont pas pour autant dispensés. En effet, l’auteur dispose d’un droit de paternité sur son œuvre, ainsi que d’un droit au respect à
l’intégrité de celle-ci. Or, à moins que le fichier CAO ou l’objet lui-même ne mentionnent le nom de l’auteur, une atteinte à la paternité sera constituée.
Concernant l’intégrité de l’œuvre, il est possible que, suite à l’impression en 3D, le modèle obtenu soit d’une qualité moindre que l’œuvre originale de l’auteur suite à la dénaturation, la déformation ou l’altération de l’œuvre initiale.

Afin de protéger les titulaires des droits, des solutions sont envisagées pour contrer ces atteintes.

L’exception de copie privée

Tout d’abord la copie privée est la possibilité donnée à un utilisateur de reproduire une œuvre, dans un certain cadre mais librement, ce qui est une exception au droit d’auteur. Cette exception doit "passer" un test en trois étapes à savoir : une utilisation limitée à certains cas spéciaux, ne portant pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et ne causant pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Le droit d’auteur ajoute une condition, celle de la licéité de la source.
Or, à moins que l’utilisateur scanne lui-même l’objet protégé par le droit d’auteur pour en faire un fichier CAO, l’utilisation d’un fichier numérisé du produit, généralement téléchargé via une plateforme en ligne ne semble pas donner les garanties requises (notamment sur la source).
De même, la condition selon laquelle la copie privée ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre semble faire défaut dans la mesure où la possibilité d’imprimer en 3D de manière illimitée et dans une qualité moindre pourrait priver les auteurs de gains commerciaux significatifs.

La rémunération pour copie privée

On pourrait songer à mettre en place un système de rémunération pour l’impression 3D comme celui prévu aux articles L311-1 et suivants du CPI. Néanmoins, un problème se pose puisque la rémunération versée provient en principe des supports dont la liste est fixée (incluant des CD, clés USB, disques durs externes) alors que l’imprimante 3D n’est pas encore prise en compte comme telle.

Mise en place de mesure techniques de protection

On peut aussi envisager la mise en place de mesures techniques de protection. Par exemple, on pourrait marquer un objet et son fichier CAO à l’aide d’un identifiant unique afin d’en contrôler l’usage.

Qui sera responsable des atteintes aux droits des titulaires ?

Les plateformes d’échange de fichiers CAO destinés aux imprimantes 3D sont considérées comme des hébergeurs au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. En conséquence, en cas de contrefaçon elles avanceront qu’elles ne peuvent être sanctionnées sauf si elles avaient connaissance des contenus illicites et qu’elles n’ont pas agi promptement pour les retirer. Néanmoins, les fab labs sont considérés comme des copistes et s’exposent donc à un risque réel en cas de copie sans l’autorisation du titulaire de l’œuvre.

L’impression 3D est bien une solution très innovante, notamment en termes de vitesse et de fonctionnalité. Un nombre infini d’objets pourrait être
reproduit grâce à cette machine, des éléments du corps humain en passant par des vêtements, des bijoux, des lunettes, ou même des armes.
Mais elle appellera des réactions légales appropriées. De ce fait, une proposition de loi relative à « L’impression 3D et l’ordre public » a été présentée par la députée Claudine Schmid le 26 octobre 2016 afin de cadrer les éventuelles dérives liées à cette nouvelle technologie.
Par ailleurs, une question demeure en suspens, celle de la protection des données personnelles lorsque l’impression en 3D concerne la reproduction d’un élément du corps humain à partir d’une photographie ou d’une radiographie appartement à une personne physique ou encore pour la fabrication de vêtements sur mesure à partir de données concernant la morphologie d’un individu.
Face à toutes les possibilités offertes par l’impression 3D, que ce soit en termes de possibilité de reproduction d’objets ou d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle des créateurs de l’objet ou à la protection des données personnelles, un cadre juridique spécifique doit être réfléchi et assorti des moyens technologiques adaptés.

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