Pinar Seleck : la démocrat

Pinar Seleck : la démocratie, un bien précieux et fragile qu’il faut conquérir et savoir garder...

Sociologue, maître de conférences à l’Université de Nice Côte d’Azur, enseignant les sciences politiques, Pinar Selek était ce mercredi soir l’invitée de l’association Nouv’Elles pour parler de la démocratie et s’interroger sur les risques qui planent actuellement sur ce bien précieux.

Née dans une famille turque politisée, avec un grand père fondateur d’un parti d’extrême-gauche qui a été dissous en 1992, fille d’un avocat incarcéré pendant quatre ans à Istanbul, elle a elle-même goûté les "plaisirs" de la geôle - et de la torture - dans son pays d’origine pour s’être intéressée au sort des Kurdes. Condamnée cinq fois, relaxée cinq fois, son procès dure encore, et ce depuis vingt ans, puisque le procureur fait systématiquement appel de la relaxe...

"La liberté vient du bas, jamais d’en haut"

Elle s’est établie à Strasbourg puis est venue s’installer sur la Côte d’Azur où elle enseigne à Sciences Po Menton et à Sophia Antipolis. Elle est aujourd’hui de nationalité française et, tant Pascale Oddoart, présidente de Nouv’Elles, que Maître Martine Ouaknine, conseillère départementale et adjointe au maire de Nice, ont souligné le courage de Pinar Selek, son engagement aux côtés des minorités, et l’originalité de ses travaux.
La conférencière a débuté son intervention en faisant une rapide histoire de la démocratie en France avec ses hauts et ses bas qui font bien comprendre la fragilité d’un tel édifice. Les libertés sociales et individuelles, les libertés politiques, celles de s’éduquer, de se cultiver, de discuter librement dans l’espace public "viennent d’en bas, jamais par le haut". Comprendre par là que c’est la population qui s’est levée devant l’injustice qui a conquis au prix du sang les droits dont nous profitons aujourd’hui... sans toujours en avoir conscience.
De la révolte des Canuts de Lyon aux ligues fascistes d’avant guerre, du suffrage censitaire du XIXème siècle (autorisé seulement aux personnes ayant du bien) au vote universel d’aujourd’hui sans autres conditions que d’avoir l’âge légal et de jouir de ses droits civiques (et pourtant boudé par une part grandissante du corps électoral), l’histoire moderne de la démocratie montre des situations complexes et parfois paradoxales.

Favoriser le dialogue

Même imparfaite, la démocratie française est certainement enviée par des millions de femmes et d’hommes dans le monde. "Et pourtant, beaucoup de personnes vivent ici dans des conditions de non-droit, comme les migrants" relativise l’enseignante, concédant qu’il est quand même plus facile de faire vivre les outils de la démocratie (syndicats, partis politiques, institutions etc.) dans cette partie de l’Europe plutôt qu’en Turquie ou dans les pays pauvres.
Pinar Selek suit depuis son début le mouvement des gilets jaunes en allant à leur rencontre dans toute la France. "Il faut créer des structures locales pour favoriser les discussions, les relations sociales entre les gens. Rappelez-vous, la démocratie se construit par le bas".
Cela fait quinze semaines que le pays est traversé par ce mouvement, avec des épisodes de violence qui n’ont pas lieu d’être dans... une démocratie puisque, justement, chacun est ici libre de s’exprimer, de manifester et... de voter.

Turquie : une dérive autocratique sans fin...

Alors que la Turquie occupe la 157ème place sur 180 au classement 2018 de la liberté de la presse établi par RSF, un tribunal d’Istanbul a confirmé en appel des peines de prison ferme contre d’anciens journalistes d’un quotidien d’opposition. Accusés d’avoir aidé des "organisations terroristes", ils avaient été condamnés à des peines de deux ans et demi à huit ans de prison.
C’est la suite - logique - de la prise de contrôle et de la répression mises en place par Recep Tayyip Erdogan à la suite d’un coup d’état manqué. Il y a quelques jours, le procureur général a annoncé l’arrestation de 295 militaires, dont trois colonels. Ce qui porte à ... 177 000 le nombre de personnes interpellées et pour beaucoup emprisonnées, encore en attente de jugement ou qui ont fait l’objet de procès partiaux dénoncés par des associations humanitaires internationales. Plus de 150 000 autres personnes, des fonctionnaires, ont été limogés et sont privés de tout moyen de subsistance. Le maire - destitué - de Diyarbakir vient d’être condamné à onze ans et 3 mois d’emprisonnement pour “appartenance à une organisation illégale” et à trois autres années d’emprisonnement pour “propagande en faveur d’une organisation illégale”.
Des magistrats n’ont pas été épargnés par la purge conduite par le pouvoir turc, pas plus que des avocats, dont certains font l’objet de procès pour avoir exercé leur profession en défendant des membres du PKK. "La Turquie ne peut prétendre être un régime respectable au sein des nations sans un état de droit dont les avocats, les magistrats et les journalistes sont les sentinelles" rappellent ainsi les Avocats du Barreau de Paris qui dénoncent également des arrestations arbitraires comme celle de Maître Gokoglu, du Barreau d’Ankara, "détenu à la prison de Tekirdag et battu le 30 octobre 2017 par ses gardiens".
La dérive autocratique d’Erdogan semble sans fin...

Photo de Une : Pinar Selek (DR JMC)

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