Responsabilité pénale (...)

Responsabilité pénale : gare à l’effet "deuxième vague" du covid !

Pour la "reprise", les entrepreneurs doivent prendre des précautions particulières techniques et réglementaires pour éviter de voir leur responsabilité engagée

L’enfer étant pavé de bonnes intentions, des chefs d’entreprises qui ont pourtant cru bien faire pour protéger leurs employés pendant la crise du Covid-19 et maintenir une activité même en volume dégradé ont pu commettre des "boulettes" pouvant engager leur responsabilité pénale. Le risque n’est pas négligeable, loin s’en faut, et il est indispensable de se mettre en conformité avec - accrochez vous - les 95 ordonnances et décrets qui ont éclos en quelques semaines, sans parler des lois de finance rectificatives. Du jamais vu.

La situation est d’autant plus "dangereuse" que les effets judiciaires et pénaux ne sont pas forcément immédiats et que l’on peut se faire rattraper plus tard par la patrouille alors que, le temps passant, il sera plus difficile de réunir les preuves des actions mises en place et sa bonne foi.
"La difficulté est de transmettre l’information et de la rendre accessible aux entrepreneurs" indique Maître Marielle Walicki (cabinet WABG, du barreau de Nice), qui conseille les adhérents de l’UPE-06 et multiplie à leur intention des webinaires très suivis.

Arrive le temps des contrôles...

Bien sûr, la responsabilité pénale du chef d’entreprise existait avant cette crise, mais le Covid vient en rajouter une couche. Plus d’actions, plus de formalisme, plus de possibilités d’erreurs...
L’évidence pour un entrepreneur est de se protéger de toute faute délibérée, qui exclurait le bénéfice de l’erreur de bonne foi, de ne pas agir avec imprudence par exemple "en exposant autrui à des dangers en toute connaissance de cause". Cela relève après tout du bon sens et de l’éthique la plus élémentaire.
Mais il y a quantité de chausse-trappes, même s’il n’y a "pas de crime ou de délit sans intention de les commettre", ce qui n’exonère pas des notions de manque ou de négligence. Il faut donc se protéger en mettant en place de bons dispositifs et de bonnes pratiques, dont Maître Walicki a présenté les principaux lors de cette visioconférence.
"Nous aurons malheureusement une hécatombe d’entreprises dans les prochains mois. Il faudra être solidaires pour continuer à travailler, faire du commerce et faire des bénéfices. Il faudra donc favoriser le dialogue social et ce n’est pas le moment de court-circuiter les ex CHSCT devenus CSE. Attention au délit d’entrave !" prévient l’avocate.
La période qui s’ouvre maintenant sera celle des contrôles par l’Inspection du Travail. Laquelle pourra constater des infractions, les transmettre au parquet, et même saisir un juge en référé pour faire cesser tout risque pour les salariés.
L’employeur ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité par une délégation de pouvoir accordée à un cadre. Il devra encore vérifier la chaîne d’application de ses consignes, éviter "les trous dans la raquette", faute de se retrouver... en faute. Une DRH a une vision "intéressante et complémentaire" de tous ces aspects.
Affichage, traces écrites sont à conserver précieusement.

UPE-06 : "privilégier les relations humaines"

Daniel Sfecci, président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie Côte d’Azur (UIMM), a partagé les problématiques plus spécifiques du secteur de l’industrie.
"63% des entreprises industrielles des Alpes-Maritimes sont restées actives. Dans la métallurgie, nous avions décidé de ne pas stopper la fabrication et de nous mettre en conformité au fur et à mesure des textes qui tombaient. Dès le 18 mars, nous avons édité un guide pratique qui s’est avéré utile pour nous aider à fonctionner. Nous avons ensuite adapté la situation de nos salariés avec des moyens de protection" commente Daniel Sfecci.
Le secteur n’a pas connu de "cassure". Il a même contribué à la lutte contre le Covid par la fabrication d’appareils de protection, de gels hydroalcooliques etc. Il n’y a eu au final de gros coup de frein que dans la sous-traitance automobile et aéronautique - en quasi arrêt au niveau national et européen - et dans le domaine de l’énergie. Dès le 20 mars, l’organisation patronale a signé un "accord de fonctionnement" avec tous les syndicats, hors la CGT.
Le 18 mai, un nouvel accord d’orientation sur un nouveau dialogue social a été paraphé, y compris par la CGT cette fois.
"On ne peut pas faire sans les autres. Il faut mettre au premier plan les relations humaines, c’est le point central de la réussite de la sortie de crise" poursuit le président de l’UIMM. Il voit aussi dans cette démarche une bonne préparation à la gestion d’une éventuelle nouvelle crise dans l’avenir.
Mais il prévient : "Nos responsabilités de chefs d’entreprises vont revenir comme un boomerang" passée cette période de reprise.

BTP : éviter les risques

Soudain, les grues se sont arrêtées... Le secteur du bâtiment et des travaux publics a été d’autant plus impacté que les règles sanitaires liées au Covid sur les chantiers étaient difficilement applicables. Il y a en effet beaucoup de "coactivité" entre les entreprises. La proximité au travail rend difficile les règles de distanciation sociale. Dans le doute, 90% des entreprises ont arrêté de travailler, pour ne pas mettre en danger les salariés. La responsabilité pénale de l’employeur était également présente dans les esprits...
"Les guides ont été utiles. Ils nous ont permis de redémarrer vers le 10 avril. Mais ils sont différents d’un métier à l’autre" commente Patrick Moulard, vice-président du BTP-06. "Certains n’ont jamais arrêté, mais ne sachant pas où ils allaient... Ils ont imaginé des protections pertinentes, donc il y a eu des prises de risques fortes. Par exemple, certains ont organisé des prises de température à l’initiative des entreprises (déconseillé, ndlr). Je conseille donc aux employeurs de faire des photos des aménagements, des affichages etc. pour garder des preuves".

Negresco : sécurité 5 étoiles

Pour Valérie Nyul la DRH de l’hôtel Negresco, le challenge actuel consiste à sauvegarder la part d’enchantement que le palace niçois se doit d’offrir à sa clientèle internationale, tout en assurant la sécurité sanitaire des employés comme des visiteurs.
Des obligations prises très au sérieux par le navire amiral de la Promenade, qui avait pris les devants dès le mois de février en édictant des mesures de protection strictes, en adaptant au Covid-19 les anciennes affiches H1N1, en distribuant du gel hydroalcoolique, des lingettes désinfectantes, des masques et des gants pour les femmes de chambre etc,.
"Évidemment, personne n’a très envie de venir dans une ambiance d’hôpital et de croiser des gens masqués dans les couloirs. Nous avons fermé le 18 mars et nous n’avons pas depuis testé les interactions avec nos hôtes. La priorité maintenant est de garder le contact avec le personnel, cela passe par des mails envoyés une ou deux fois par semaine, notamment pour partager les informations officielles des pouvoirs publics comme sur les conditions du chômage partiel" explique Valérie Nyul.
L’une des conséquences de cette crise sanitaire est de provoquer la disparition (momentanée) du service de voiturier : trop compliqué d’assurer la protection de ces derniers et la désinfection des véhicules. Les clients devront donc aller garer eux-mêmes leurs autos. Et des questions basiques se posent encore, comme la façon dont le personnel se dira bonjour le matin. "Dans nos métiers, c’est la bise, alors bien sûr..." La réouverture du Negresco est programmée à la mi-juin, mais le palace ne pense pas revenir à sa vitesse de croisière avant 2021 et le chômage partiel va perdurer.

Decathlon : à fond les précautions et le lien social

Gaétan Maillet est chef de projet chez Decathlon. Une enseigne internationale qui emploie 90 000 collaborateurs. "Notre responsabilité, c’est de prendre des décisions au plus proche des conséquences. Malgré notre taille, il nous faut rester agile en permanence". Pour tous les salariés, la date du 14 mars "a été un choc". L’enseigne a fermé du jour au lendemain 1 500 points de vente. "Notre premier réflexe a été de maintenir un lien avec nos collaborateurs, pour transmettre les informations qui arrivaient au fil de l’eau. Nous avons travaillé avec les partenaires sociaux pour la mise en place du chômage partiel".
Decathlon s’est distingué pendant cette période en faisant des dons (30 000 masques pour les hôpitaux azuréens, des blouses) et a aussi offert un modèle "maison" de masques de plongée sur lesquels a pu être ajouté un système de protection pour les soignants. Mieux, la marque a ouvert le brevet pour accélérer la fourniture de ce matériel qui s’est avéré précieux en début de crise en protégeant des soignants bien démunis.
"Nous nous sommes sentis utiles, cette solidarité a donné de l’élan dans l’entreprise" se réjouit Gaëtan Maillet.
Depuis, l’enseigne de sport à rouvert ses magasins. Pas facile lorsque 30 ou 40% du personnel seulement est disponible, en raison d’obligations familiales le plus souvent (garde des enfants).
"Dans les magasins, le port du masque est obligatoire pour tous, employés comme clients. Les cabas sont lavés régulièrement. Ces mesures ne sont pas faciles, mais elles donnent confiance". Les actionnaires du groupe ont décidé de réinjecter leurs dividendes dans leur entreprise. Ce n’était pas une obligation légale, mais le geste est apprécié alors qu’il reste encore des montagnes à gravir pour revenir à la situation d’avant.

Bon à savoir pour une reprise facilitée

- La loi du 30 juillet 2000, dite Loi Fauchon, a encadré la responsabilité pénale du chef d’entreprise en introduisant l’article 121-3 dans le Code pénal.
- Les infractions susceptibles d’engager la responsabilité pénale : mise en danger délibérée de la vie d’autrui, refus de porter secours à personne en danger, blessure ou homicide involontaire, manquement en matière d’hygiène et de sécurité, délit d’entrave, obtention frauduleuse d’aides publiques.
- L’article L.3136-2 du Code de santé publique issu d’un amendement sénatorial visant à limiter la responsabilité pénale des dirigeants a été intégré à la loi d’urgence sanitaire.
- Réouverture de l’entreprise : prévoir les mesures avec le CSE, solliciter le médecin du Travail sur le protocole de reprise, privilégier le télétravail et éviter le coworking, mise en place d’horaires décalés, éviter le croisement des salariés, mise à disposition des équipements de protection, former les salariés aux nouvelles normes sanitaires par des briefings réguliers.
- Mettre en place un DUER actualisé et signé par les salariés, constituer un fichier contenant tous les justificatifs des achats effectués pour la protection des salariés qui sera utile en cas de contrôle de l’administration dans... quelques années.

Le webinaire complet est disponible sur le site internet de l’UPE06

Visuel de Une : DR Illutration

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