Traitement du risque (...)

Traitement du risque prud’homal par le projet de loi Macron : mythe ou réalité ?

Nos hommes politiques accompagnés en cela par de nombreux journalistes « économiques » viennent de s’emparer d’un nouveau sujet : le risque prud’homal. Chacun s’accorde à découvrir (ou feindre de découvrir) que parmi les multiples freins à l’embauche, particulièrement dans les TPE et les PME, l’importance du risque prud’homal pèse négativement de tout son poids. Nombreux sont en effet les employeurs qui, malgré l’existence d’un besoin objectif d’embauche, hésitent à recruter car ils savent qu’en cas de difficultés conjoncturelles futures ils vont être contraints de licencier.

Or ces licenciements font de plus en plus peur aux employeurs, car qui dit licenciement dit risque prud’homal.

Or, les employeurs reconnaissent volontiers qu’ils ne veulent plus prendre ce type de risque, en raison tout à la fois de la durée anormalement longue des procédures judiciaires (durée moyenne des affaires de près de 16 mois), du temps et de l’énergie à y consacrer et surtout du coût potentiel d’une telle rupture pour l’entreprise en cas de condamnation.

Le phénomène n’est pas nouveau. Les partenaires sociaux ont d’ailleurs tenté, dans une première approche qui n’a d’ailleurs sans doute pas été suffisamment saluée, de réduire ce risque prud’homal source reconnue de blocage à l’embauche, particulièrement en période de crise économique. C’est ainsi que l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 prévoit que les parties peuvent, lors de l’audience devant le bureau de conciliation, choisir de mettre un terme définitif au litige qui les oppose en contrepartie du versement, par le défendeur au demandeur, d’une indemnité forfaitaire calculée en fonction de l’ancienneté de ce dernier.

Cette indemnité forfaitaire vaut réparation de l’ensemble des préjudices liés à la rupture du contrat de travail et son montant est fixé à :
- Entre 0 et 2 ans d’ancienneté : 2 mois de salaire
-  Entre 2 et 8 ans d’ancienneté : 4 mois de salaire
-  Entre 8 et 15 ans d’ancienneté : 8 mois de salaire
-  Entre 15 et 25 ans d’ancienneté : 10 mois de salaire
-  Au-delà de 25 ans d’ancienneté : 14 mois de salaire.

Il faut rappeler que le contenu de cet accord a été repris par la loi n° 2013-504 de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 et par le décret n°2013-721 du 2 août 2013. Mais cette évolution, pourtant significative puisque pour la première fois dans l’histoire du droit du travail français, les partenaires sociaux d’abord et le législateur ensuite, ont introduit une forme de forfaitisation du risque prud’homal dont on ne pouvait que se réjouir. Seulement voilà, une fois encore, ni les uns ni les autres ne sont allés suffisamment loin. D’abord parce qu’il ne s’agit que d’une option qui suppose l’accord des deux parties. Ensuite parce que ne sont visées que les dommages et intérêts liés à la rupture du contrat et pas les autres motifs potentiels de litiges tels que, notamment, les indemnités pour discrimination, harcèlement, exécution déloyale du contrat… D’ailleurs, en pratique, force est de constater que ce dispositif n’est quasiment jamais utilisé par les parties au procès, ni même jamais proposé par les conseillers prud’homaux eux-mêmes !

Face à cette situation, on se plaît à nous expliquer que la loi Macron va enfin permettre d’aboutir à la mise en place de ce barème de nature à lever ce frein à l’emploi.

Malheureusement, la réalité est toute autre. Il faut clairement exposer, n’en déplaise à ceux qui par souci de vulgarisation finissent par travestir la réalité, que la future loi Macron ne règlera absolument pas la question.

En effet, dans sa rédaction actuelle (c’est à dire celle adoptée devant l’Assemblée Nationale par le biais de l’article 49-3 le 19 février 2015) le projet de loi prévoit simplement que le juge, pour fixer l’indemnisation du salarié abusivement licencié, peut prendre en compte un référentiel indicatif établi selon des modalités qui seront prévues par décret. Ce référentiel tiendra compte notamment de l’ancienneté, de l’âge et de la situation du salarié (on notera que le législateur n’a pas jugé utile d’introduire dans son barème la situation économique et financière de l’employeur). En outre, ce n’est que lorsque les deux parties en feront conjointement la demande que l’indemnisation sera fixée par le juge par la seule application de ce référentiel.

Autrement dit, il s’agira d’une simple faculté pour le juge et seul l’accord des deux parties aboutira à l’application obligatoire de ce référentiel. Certes, il s’agit objectivement d’un progrès mais le compte n’y est pas et la portée de la modification relève davantage du symbole que d’une révolution de nature à modifier profondément les comportements des employeurs, des salariés et des juges dont les quantums de condamnation retenus par ces derniers sont parfois exorbitants et sans réel lien avec la faculté contributive de l’employeur condamné.

Or, pour véritablement lever les freins à l’emploi précités, ne faudrait-il pas que le barème s’impose au juge ? Cela permettrait au salarié de bénéficier d’une juste réparation de son préjudice, connue par lui à l’avance. Cela permettrait aux employeurs de connaître par avance le risque judiciaire en cas d’embauche et de débauche ultérieure, donc de s’engager en connaissance de cause. Cela permettrait aussi sans doute de faciliter la conclusion d’accords transactionnels ou les conciliations prud’homales puisqu’une négociation pourrait s’engager sur la base d’un quantum potentiel d’indemnisation connu des deux parties.

Un long chemin reste encore à parcourir. N’oublions cependant pas que, pour qu’il y ait indemnisation, quelle qu’elle soit, encore faut-il que le licenciement soit jugé abusif.

André CHARBIN
Cabinet Capstan
Avocat au Barreau de Grasse
Spécialiste en Droit du travail

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