Vers un service public

Vers un service public numérique de la justice ?

Invitée à la Conférence du Conseil de l’Europe qui vient de se tenir en Finlande, la Garde des Sceaux et ministre de la Justice Nicole Belloubet est intervenue sur les impacts du développement de l’intelligence artificielle sur les droits de l’homme, la démocratie et l’état de droit.
Alors que l’IA s’invite chaque jour davantage dans notre vie, que la réforme - si controversée - pour la Justice du XXIème siècle inclut par la force des choses les progrès du digital, il est intéressant de connaître le point de vue de la ministre sur ces différents points. Ci-dessous, les principaux extraits de son discours devant la Conférence qui résument sa vision pour une justice plus moderne et plus efficace pour les citoyens.

"Il est nécessaire que les gouvernements jouent un rôle actif pour promouvoir une vision de l’intelligence artificielle juste, solidaire et centrée sur l’humain. L’IA a trop longtemps été envisagée sous le seul angle technique et scientifique des potentialités infinies qu’offraient le progrès informatique et le traitement de données en masse. Or elle est aujourd’hui au cœur d’enjeux cruciaux pour nos démocraties et il est très important que nous nous en saisissions sans tarder".

"La liberté d’opinion est menacée"

Le Conseil de l’Europe œuvre sans relâche pour que l’État de droit, la démocratie et les droits fondamentaux demeurent le socle commun de nos sociétés. La liberté d’opinion, garantie par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme, est de plus en plus menacée. Nous avons vu apparaître, notamment lors de précédents scrutins électoraux, des campagnes massives de diffusion de fausses informations, dont le seul objectif était de troubler le débat public, falsifier la manière dont les citoyens se forgent leurs opinions politiques, et déstabiliser les institutions démocratiquement élues. (...) Pour Mme Belloubet, les processus algorithmiques, les technologies numériques constituent des menaces pour nos démocraties.

"La prudence s’impose"

"L’intelligence artificielle ne peut être comprise sans un travail conceptuel associant informaticiens, juristes, philosophes, politiques, sans oublier nos concitoyens. Ensemble, il nous faut appréhender l’incertain et apprivoiser les limites de nos connaissances. La notion d’apprentissage profond par la machine (deep learning), dont les mécanismes échappent en grande partie aux concepteurs de l’outil, ouvre des espaces infinis. Les biais cognitifs mis en lumière par les premières expérimentations sur les réseaux sociaux nous invitent également à la plus grande prudence."

"Les dossiers dématérialisés"

"Le numérique et ses développements en matière d’intelligence artificielle offrent une opportunité pour l’accès à la justice tout en assurant le respect des droits fondamentaux .
Pour optimiser les potentialités de l’intelligence artificielle, nous devons d’abord nous doter de systèmes informatiques modernes. À cet égard, la France vient d’adopter un plan ambitieux de transformation numérique visant à développer à l’horizon 2022 un véritable service public numérique de la justice. Il permettra la saisine et le suivi d’un dossier en ligne ainsi que la dématérialisation complète des échanges entre les acteurs judiciaires. La procédure numérique native en sera la pierre angulaire. Sont concernés toutes les procédures ainsi que l’ensemble des acteurs judiciaires, y compris l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse".

"Plateformes de résolution des litiges et éthique"

"Mais c’est bien le citoyen qui est placé au cœur de ce projet. C’est en effet l’ensemble du parcours d’accès au droit qui sera transformé, appelant un travail commun avec d’autres services publics qui, comme la justice, cherchent à réduire les fractures territoriales grâce au numérique. Nous sommes néanmoins conscients de ce que de nouvelles ruptures sont susceptibles d’apparaître, affectant nos citoyens dépourvus de toute expérience du numérique. Je pense particulièrement aux plateformes de résolution des litiges en ligne qui doivent faire l’objet de règles éthiques précises. C’est la raison pour laquelle j’ai conçu cette transformation numérique comme une voie d’accès supplémentaire à la justice, qui ne se substitue pas de manière obligatoire aux modes traditionnels de saisine des juridictions. C’est aussi pour cela que je mets en place, dans tous les lieux de justice, des services d’accueil du justiciable en capacité
d’accompagner tous les résidents en France qui ne seraient pas familiers du numérique."

"Opportunités pour les citoyens et les professionnels du droit"

"La France a adopté le 7 octobre 2016 une loi intitulée pour une République numérique prévoyant la diffusion en ligne de l’ensemble des décisions de justice rendues publiquement. Ce projet d’open data forme un chantier technique d’envergure qui sera mis en œuvre de manière progressive. Sont disponibles dès aujourd’hui les décisions des juridictions suprêmes, ainsi que des décisions des juridictions du fond présentant un intérêt jurisprudentiel. Nous ne sommes qu’au début de sa mise en œuvre. Cette
ressource judiciaire doit être vue comme une opportunité :
- Pour les citoyens et les professionnels du droit, qui auront un accès plus facile à la jurisprudence, ce qui favorisera également l’émergence de nouveaux services issus de l’exploitation de ces données juridiques.
- Pour les juges, car l’intelligence artificielle favorisera l’analyse jurisprudentielle et constituera un outil d’aide à la décision sans pour autant priver le juge de son rôle. Pour garantir un partage équitable de la ressource judiciaire numérique, l’État sera conduit à investir ce champ aux côtés des acteurs privés."

"Des garde-fous nécessaires"

"Ces objectifs légitimes doivent être mis en œuvre dans le respect de la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans les décisions ainsi mises en ligne, tout élément pouvant permettre l’identification des personnes physiques concernées devra en effet être occulté. Les autres principes devant guider le développement de l’intelligence artificielle, identifiés par la charte éthique de la CEPEJ, sont nombreux. Respect des droits fondamentaux, mais aussi non-discrimination, neutralité, transparence, maîtrise de l’utilisateur, sécurité de l’hébergement, usage contrôlé de la justice prédictive : les chantiers à venir pour les institutions judiciaires sont nombreux et vastes."

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