Crise : les « machins (...)

Crise : les « machins » ont la cote

A force de sacrifier leur crédibilité financière, les Etats sont contraints d’abandonner des pans entiers de leur souveraineté à des organismes supranationaux. Des « machins » qui échappent aux sanctions ordinaires des systèmes démocratiques. Autant de signes annonciateurs de crises politiques comme prime à la crise économique et financière.

Vous souvenez-vous de ce prestidigitateur célèbre, qui s’évadait d’une malle remplie d’eau, enchaîné comme un forçat ? Celui qui, d’un simple abracadabra, faisait disparaître… un éléphant sous les yeux du public ? C’était le grand Houdini. Il a depuis longtemps quitté la scène terrestre, mais ses talents d’illusionniste continuent de fasciner. Notamment les autorités du monde entier, qui aimeraient maîtriser tous les trucs permettant de rendre crédibles les tours qu’ils nous proposent. L’objectif est aujourd’hui de libérer l’économie mondiale, enchaînée et immergée dans un océan de dettes. Gouvernements et banques centrales sont parvenus à transférer l’éléphant des créances irrécouvrables, qui pilonne les bilans bancaires, dans l’enclos des contribuables. Mais il n’a, hélas, pas disparu : comme le furet de la comptine, il est passé par ici et il repassera par là. Bref, pour avoir provisoirement, et à grands frais, rétabli la crédibilité du système financier, les Etats ont été contraints de sacrifier leur propre solvabilité.

Si bien que les cas de l’Islande, de l’Irlande et de la Lettonie, de la Grèce et d’autres pays prochainement menacés d’asphyxie, ne constituent pas des exceptions regrettables de « mauvaise gestion » dans un environnement général d’orthodoxie souveraine.
On l’a souvent relevé ici : aucune nation ne peut désormais se dire à l’abri de désordres majeurs consécutifs à l’impécuniosité définitive. Et on le répète : le Royaume-Uni et les Etats-Unis pourraient bien être les prochaines grandes victimes du tsunami qui menace les finances publiques. Les Banques centrales ont pleinement joué leur rôle de « prêteurs en dernier ressort » et ouvert en grand les vannes de la liquidité. Au point de gonfler dangereusement leurs bilans avec du papier de qualité douteuse. Les Etats ont cautionné, subventionné et emprunté dans de telles proportions qu’ils ont séquestré leurs contribuables au Mont-de-piété pour une durée indéterminée, et probablement très longue. Paradoxalement, il manque encore de l’argent pour dynamiser la reprise selon les canons de la doctrine en vigueur. Puisque les meilleures signatures (Instituts d’émission et Etats) sont maintenant polluées, il faut trouver d’autres nappes phréatiques vierges de toute suspicion. Par la voix de son Directeur général, le FMI se propose de hisser l’institution au rang de super-banque centrale de la planète. Un scénario qui ne soulève pas vraiment l’enthousiasme. En réponse, l’Allemagne propose la mise en place d’un Fonds monétaire européen, afin que la Zone euro puisse laver son linge sale en famille, sans demander l’aide « humiliante » du FMI – le dernier recours des pouilleux. On a sa fierté, tout de même…

Vers un FME ?

Dans ces deux propositions, il s’agit de renforcer un « machin » ou d’en créer un autre. Le FMI a déjà obtenu l’accroissement substantiel de ses capacités d’intervention, notamment par la cession du huitième, environ, de son stock d’or. Son ambition est d’être doté de moyens élargis pour l’audit de l’économie mondiale, la surveillance et le contrôle des flux de capitaux et la « capacité à fournir rapidement des liquidités à court terme à plusieurs pays simultanément ». C’est-à-dire une très large extension de ses prérogatives actuelles, faisant du Fonds un super-pompier d’urgence en cas d’incendie conjoncturel. Le tout agrémenté de la poursuite de la réflexion sur « un nouvel actif de réserve », c’est-à-dire la fin de l’hégémonie du dollar dans le système financier mondial – une aspiration déjà exprimée par de nombreux pays, mais qui semble pour l’instant avoir été mise en veilleuse. Sous les réserves que nous exprimerons plus loin, de telles perspectives paraissent appropriées aux enjeux actuels : renforcer le potentiel de l’équipe médicale en cas de pandémie ne peut passer pour une mauvaise idée.

Toutefois, le FMI étant encore sous forte domination anglo-saxonne, en dépit du récent « rééquilibrage » des voix, les Européens redoutent légitimement l’idée d’accroître le pouvoir de l’Oncle Sam sur les gouvernements de la planète. D’où l’idée allemande de créer le pendant européen du FMI, qui se heurte toutefois à la lettre des traités constitutifs de l’Union et suppose une gestation longue. C’est-à-dire que les Etats-membres aujourd’hui en difficulté seraient tous en défaut lors de la naissance éventuelle de ce FME. On ne sait à ce jour quelle option l’emportera sur l’autre. Mais dans un cas de figure comme dans l’autre, cela conduira à renforcer le pouvoir de machins supranationaux sur la conduite des Etats. On connaît d’expérience les dégâts occasionnés par les « plans » du FMI qui conditionnent l’octroi des prêts. Obsédés par les bienfaits supposés d’un libéralisme sans nuances, les fonctionnaires du Fonds ont imposé des cures socialement dramatiques à leurs patients souverains, exigé des privatisations ruineuses et favorisé la mainmise de firmes multinationales sur les richesses des pays concernés. Des saignées comparables à celles des médecins de Molière : la maladie est vaincue par la mort du patient. Le désarroi des temps présents conduit à une fuite en avant vers toujours plus de concentration, toujours plus de bureaucratie supranationale et toujours moins de démocratie. Autant d’avancées vers une « gouvernance mondiale » aux vertus improbables, sauf à aspirer à la tyrannie prétendument bienveillante de la « monarchie éclairée ».

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