La croissance par le (...)

La croissance par le verbe

Le président Obama voit poindre de « jeunes pousses » de croissance. Le G7 capte des « signes » de non-aggravation de la crise. Tous font de leur mieux pour caresser les angoisses par des mots apaisants. Sauf le FMI qui s’obstine dans une « méthodologie » politiquement incorrecte. Le verbe est-il l’engrais de la croissance ?

Que restera-t-il des déclarations publiques des pontifes de la politique et de la finance, quand la crise sera achevée et que l’Histoire pourra s’en emparer ? Il est probable que les futurs analystes ne manqueront pas de motifs à ricanements. A ce jour, il semble que les observateurs les plus lucides se recrutent du côté des saltimbanques, si l’on classe dans cette catégorie le cinéaste Jean-Stéphane Bron : « A New York, j’observe que la frénésie de tout recommencer comme avant se manifeste déjà. Ceci, parce qu’il n’y a pas eu de sanction. Or notre cerveau s’est développé sur le mécanisme de sanction et de récompense. Mais la communauté financière ne gardera pas de mémoire de la douleur de cette crise. Les pertes d’emplois sont tout au plus perçues comme des dommages collatéraux. On n’a pas pris conscience que le prix que ce système fait payer au monde ne figure sur aucun bilan » a-t-il récemment déclaré dans une interview au Temps de Genève, en marge de la préparation d’un film sur les traders, dont il livre une impression générale : « Dans ce métier, le bagage intellectuel reste assez faible. Le trader-type voue en général une foi religieuse au mantra financier. C’est un individu très autocentré, avec peu de conscience du monde qui l’entoure. On est dans l’infra-politique, l’infra-intellectuel. » Vous voyez le tableau. S’il n’était aussi policé, Bron aurait ainsi résumé son portrait : le trader-type est un parfait abruti qui roule en Ferrari. Malheureusement, il n’a pu approcher les grands fauves qui peuplent le staff des usines de la finance, ce qui le privera de la documentation nécessaire pour réaliser un film sur la férocité de la jungle au paléolithique.

La preuve que Wall Street veut « recommencer comme avant » se trouve dans les propos du patron de la Fed en personne. Voilà peu, alors que les valeurs bancaires reprenaient un peu de couleur sur les marchés, grâce à l’annonce de miraculeux bénéfices (la finance américaine est vraiment bénie des dieux !), l’inénarrable Ben Bernanke déclarait qu’il serait « malavisé » de brider l’innovation financière. « Tous ces développements ont eu leurs aspects positifs, y compris pour les publics défavorisés », a-t-il déclaré, avec un bémol de pure rhétorique : « il semble clair que la difficulté à gérer l’innovation lors de la période menant à la crise a été sous-estimée, et pas seulement dans le cas du prêt aux consommateurs ». Ah bon ? Il faut donc comprendre que l’innovation financière, ainsi nommées les usines à gaz diaboliques qui ont explosé en plein vol, cette innovation serait une bénédiction pour tous ; le seul problème est que l’on ne sache pas la gérer… Le jeune Ben est bien le fils spirituel de son prédécesseur Alan Greenspan, champion des aphorismes bidonnants, et coupable de la politique monétaire irresponsable qui a fait proliférer le dollar comme une tumeur maligne.

Une richesse virtuelle

Dans un tel contexte, quelle valeur accorder aux déclarations « communes » des éminences récemment réunies à Washington en un G7 incongru, après avoir testé la formule plus démocratique du G20 à Londres ? « Les données récentes laissent penser que le rythme de contraction de nos économies a ralenti et que des signes de stabilisation émergent », dit le communiqué final, renouant avec le pathos en bois dont on fabrique le pipeau. Nos éminences n’ont pas osé entonner le poncif du « bout du tunnel », bien que le président Obama ait déclaré, dans son pays, qu’il avait entrevu de « jeunes pousses ». Sa métaphore de jardinier du dimanche a fait le tour du monde, mais les jeunes pousses sont restées à leur place, c’est-à-dire dans l’imaginaire présidentiel. Et ce n’est pas du côté du FMI qu’il faudra trouver les engrais de l’optimisme agraire de Barak. Son directeur-général, Dominique Strauss-Kahn, veut restaurer la crédibilité de l’institution, qu’il admet avoir été mise à mal : « On nous accuse d’être endormis alors que la crise menaçait. J’accepte en partie cette critique. Il est juste de dire que les institutions multilatérales, chargées de faire la surveillance, le FMI compris, ont fait des erreurs. » a-t-il déclaré peu avant la tenue de l’Assemblée générale.

En foi de quoi le Fonds, qui recrute en ce moment des cohortes d’économistes (avis aux chercheurs d’emploi), tempère brutalement les prévisions de croissance des Etats. Et aussi l’évaluation des besoins en fonds propres des banques commerciales (plus de 4 000 milliards de dollars, soit trois fois plus que les chiffres officiels). « Nous observons cela avec beaucoup de prudence et nous pensons devoir éclaircir certaines questions de méthodologie avec le FMI » a lancé J-C Trichet sur un ton pincé, à titre d’avertissement. Comme pour inciter le Fonds à valoriser les « toxines » selon une « méthodologie » politiquement correcte. C’est-à-dire permettant de leur donner un prix conforme à celui que l’on souhaiterait qu’il fût, si le marché ne s’obstinait pas à les traiter comme de la roupie de sansonnet. Compte tenu des règles posées à la création monétaire bancaire (fonds propres au moins égaux à 8% des concours), si le FMI ne se trompe pas dans ses calculs, il manquera environ… 50 000 milliards de dollars de financements à la planète. Soit approximativement une année de PIB mondial. Voilà qui nous ferait traverser un très long tunnel avant d’en voir le bout…

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