Automobile : dérapage (...)

Automobile : dérapage incontrôlable

Engagés dans une concurrence à couteaux tirés, sur des marchés désormais matures sinon saturés, les constructeurs automobiles sont meurtris par la conjoncture déprimée. Et s’engagent dans de profondes et douloureuses restructurations. Avec le sacrifice hasardeux du joker qu’est la R&D…

Voilà longtemps que l’on a ici émis quelques soupçons sur la solidité réelle des multinationales, supposées être blindées face à la crise, contrairement aux moyennes, petites et très petites entreprises que la conjoncture déprimée décime par grandes brassées. Si l’on en croit les bilans offerts à la curiosité des analystes boursiers, ces firmes sont, dans l’ensemble, gorgées de cash et ainsi censément immunisées contre toute faiblesse persistante de l’activité. Sans doute convient-il de se montrer prudent face à ces allégations. Le niveau de la trésorerie est certes un indicateur pertinent de la sécurité d’une firme, tout particulièrement dans les périodes où les affaires sont difficiles. Mais il n’est qu’un indicateur de la richesse nette. On oublie trop souvent de donner à la gestion actif-passif l’attention que lui accordent assureurs et banquiers. Sur ce terrain, une analyse fine, lorsqu’elle est possible, confère un jugement plus nuancé à l’opulence apparente. Car les bilans font apparaître un niveau d’endettement souvent très élevé, dont la valeur est certaine, adossé à des actifs dont la valeur de certains est comptable, c’est-à-dire conventionnelle. Tel est en particulier le cas de l’acquisition d’entreprises, concourant à la stratégie permanente de croissance externe : la valorisation au bilan de ces dernières intègre généralement un goodwill très élevé (la « survaleur »), représentatif du surcoût que l’acheteur a accepté de régler, par rapport à la valeur comptable de la cible. Le principe de cette technique n’est pas critiquable : il est le plus souvent justifié, même si l’histoire a démontré un possible recours frauduleux à des survaleurs fictives, permettant d’éponger dans les livres des pertes que l’on ne veut pas avouer. Mais même si elle est sincère, la valorisation des incorporels emporte un degré élevé d’incertitude. Si bien que de nombreux analystes préfèrent préjuger de la solidité financière d’une firme à la seule aune de ses actifs tangibles. Au cas où le magot en cash serait appelé à se consumer : dans l’industrie, l’incendie peut être rapidement ravageur.

Restructuration lourde

Notre pays s’apprête à connaître une période estivale chahutée. Les vacanciers de juillet ne sont pas les seuls à invoquer un été pourri. Déjà, la présidente du Medef avait averti que beaucoup d’entreprises seraient en difficulté pendant cette période, parmi lesquelles un nombre croissant ne passerait pas le cap de la rentrée. Même si les motifs invoqués sont un peu caricaturaux (trop longues, les vacances d’été siphonnent les trésoreries…), l’alerte n’en demeure pas moins crédible. Et déjà, un grand nom de l’industrie française, le groupe automobile PSA, annonce un plan de restructuration d’une ampleur inégalée depuis vingt ans. On comprend sans peine que, tout juste installé et porteur d’une forte ambition en matière d’emploi, le gouvernement tente de contrarier la volonté du groupe de supprimer 8 000 postes – une charrette considérable, comparée à l’effectif total de la firme. C’est l’épreuve de vérité pour le ministère du Redressement productif, création de cette législature et dont le seul libellé- un tantinet pompier- a jusqu’à ce jour principalement suscité ricanements et sarcasmes.

La direction de PSA a cru bon de préciser qu’elle n’attendait pas d’aide financière de l’Etat pour faire face à ses difficultés. Pure rhétorique, bien sûr : dans le contexte présent, le gouvernement ne dispose pas de levier de pouvoir sérieux sur les grandes entreprises privées. Pour faire valoir le moindre point de vue, et tenter de sauver la face quand il s’est hasardé à des propos rodomonts, le ministre sera donc contraint d’accorder des contreparties chiffrables en argent. De quelle nature et pour quel montant, le voile n’est pas levé au moment où ces lignes sont écrites. Mais on peut d’ores et déjà avancer que l’Etat n’a pas les moyens de faire changer d’avis le constructeur automobile. Car le nœud du problème, c’est une conjoncture présentement et durablement défavorable au secteur automobile, affligé d’importantes surcapacités. La question n’est pas ici de se demander si les gammes produites par PSA sont adaptées à l’évolution du marché : le sujet est très technique et les conclusions des hommes de marketing ne relèvent pas (du tout) de la science exacte. En revanche, ce qui est évident pour tous, c’est que l’horizon des constructeurs n’est pas vraiment dégagé. D’abord, le secteur est très concurrentiel. Ensuite, le marché a largement atteint sa maturité, voire son seuil de saturation, sauf dans quelques pays émergents où la croissance demeure forte (mais sous la contraire de nouveaux concurrents ou de nécessaires alliances). S’agissant ailleurs de marchés de remplacement, toute faiblesse conjoncturelle est extrêmement pénalisante (tel est le cas en ce moment).

Ensuite, en dépit des progrès réalisés sur la consommation de carburant et sur le taux de rejets, la bagnole en général et le moteur à explosion en particulier deviennent écologiquement ringards. Dans le même temps, le véhicule électrique (ou mixte) ne fait qu’une percée homéopathique, victime d’un coût prohibitif et d’une autonomie rikiki. On s’étonne que les avancées technologiques permettent de débusquer le boson de Higgs, et qu’elles soient impuissantes à mettre au point un substitut efficace à la bagnole pétroleuse. Une perspective dont PSA risque de s’éloigner. Non que l’on se défie de la qualité de ses ingénieurs, mais dans le plan de restructuration projeté, c’est la branche R&D qui subit les plus gros dommages (1 400 départs). Pas très encourageant, même si le ministre redresseur devait se montrer d’une générosité productive.

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