
Avec cette loi de simplification, « le diable est dans les détails »
- Par Sébastien Guiné --
- le 9 avril 2025
Roger-Yves Pelletret, le président d’Atline, qui édite la plateforme Marchés sécurisés, est pour une simplification de la vie économique mais pas à n’importe quel prix.
Que pensez-vous de l’esprit de cette loi de simplification de la vie économique ?
Roger-Yves Pelletret : On est tous sur la même longueur d’onde. Et quand je dis on, je parle en mon nom et en celui de mes collègues et néanmoins concurrents qui développent et commercialisent ce qu’on appelle des profils d’acheteurs, qui sont les plateformes de dématérialisation des procédures d’appel d’offres. Nous sommes en faveur de la simplification de la vie économique des entreprises. Mais le diable étant dans les détails, il y a malheureusement, et c’est le cas de l’article 4, des détails qui ne vont pas du tout dans le bon sens.
Quels sont ces détails ?
Roger-Yves Pelletret : Il est tout à fait anormal qu’après un quart de siècle pendant lequel l’État s’est appuyé sur des éditeurs privés pour dématérialiser la commande publique, il nous dise finalement qu’il va faire une plateforme unique et qu’aucun dédommagement n’est prévu pour nous. C’est quelque part une captation de clientèle tout à fait anormale. En plus, la plateforme PLACE n’est pas aujourd’hui dimensionnée pour absorber 100 000 entités juridiques supplémentaires et les 250 000 consultations qui vont avec. Et c’est la raison pour laquelle l’État, dans sa grandeur d’âme, a repoussé la date limite d’application de l’article 4 au 31 décembre 2030. Pas pour nous faire plaisir, mais tout simplement pour se donner le temps de monter en puissance : au niveau des serveurs, au niveau des bandes passantes, au niveau même du personnel nécessaire pour faire tourner la plateforme et répondre notamment à la hotline. C’est un très gros problème par rapport aux très nombreuses petites collectivités qui auraient besoin d’assistance. L’État a de grandes idées mais en pratique cela débouche très souvent sur des usines à gaz, doublées de centrales atomiques, qui ne fonctionnent pas et qui coûtent fort cher.
Est-ce que vous pensez que vous allez être entendus et que les députés vont supprimer cet article 4 ?
Roger-Yves Pelletret : Pour nous, ce serait l’idéal. Nous avons eu l’oreille de certains députés, qui nous ont écoutés et compris. Ils ont déposé des amendements et de très nombreux nous sont favorables. Mais cela dépendra du vote en séance. (…) Pour nous, ce n’est pas un article politique, c’est un article administratif qui sort tout droit de la direction des achats de l’État et qui a été repris par les politiques, sans plus de réflexion. Or quand on prend le temps de réfléchir, il y a bien mieux à faire que de tout rassembler dans un monstre unique qui va gérer bon an mal an la commande publique française. Le mieux à faire, c’est de simplifier le code de la commande publique et de simplifier les modalités de candidature. Et de ne surtout pas toucher à un système qui fonctionne très bien aujourd’hui. Ce qui fait aujourd’hui la force des plateformes nationales mutualistes, c’est la saine concurrence. Parce que nous sommes concurrents, nous sommes obligés d’innover. C’est se tirer une balle dans le pied que de croire qu’avec une plateforme unique, on va résoudre tous les problèmes. Ce dont les entreprises se plaignent par rapport à la commande publique, c’est le langage abscons utilisé, le surcroît de demandes de documents qu’on leur fait à chaque fois qu’ils veulent répondre à un appel d’offres et les détails incommensurablement complexes qu’on leur demande de remplir dans des papiers juridiques incompréhensibles.
Quelles pourraient être les conséquences sur l’emploi en cas de maintien de l’article 4 ?
Roger-Yves Pelletret : Pour ceux qui sont en première ligne, c’est-à-dire, nous, les éditeurs de plateformes, environ 130 emplois sont menacés à travers toute la France. Et en seconde ligne, ce sont les titres de presse. Parce que dès lors qu’il y a une plateforme unique, à quoi cela sert de faire de la publicité dans les journaux ? Ce sont des millions d’euros, des dizaines de millions d’euros même, qui s’évaporeront pour la presse hebdomadaire régionale et quotidienne, dont on sait la fragilité des équilibres financiers. Et donc, à l’évidence, cet article va faire mourir des journaux.
Propos recueillis
par Sébastien GUINÉ
Des milliers d’emplois menacés dans la presse
Dans une lettre ouverte adressée il y a quelques jours aux députés, Pierre Louette, président de l’Alliance de la presse d’information générale, Pierre Archet, président du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale, Jean-Michel Baylet, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale, et Pierre-Yves Etlin, président du GIE Publication de marchés (qui édite le portail France marchés.com) ont également demandé la suppression des alinéas 4 et 5 de l’article 4 du projet de loi de simplification de la vie économique (SVE). Ils estiment que la plateforme PLACE « ne pourra absorber la surcharge que représente le passage de 8,5 % des marchés publics aujourd’hui aux 90 % qu’implique le projet de loi » et estiment, pour la presse régionale, que « la création de ce quasi-monopole pourrait entraîner la suppression de plus de 3 000 emplois directs, de 7 000 emplois indirects, et menacera directement le financement de l’information ».