Bailleurs : la morosité

Bailleurs : la morosité

L’investissement immobilier jouit toujours des faveurs de l’épargnant français. Plusieurs facteurs ont concouru à l’embellie du secteur, en particulier la politique publique du logement. Aujourd’hui, le carcan fiscal se durcit. Mais ce n’est pas le seul motif susceptible de ramener l’immobilier à des performances cohérentes.

Sur l’année écoulée, les conditions se sont révélées historiquement exceptionnelles pour le crédit immobilier. Pourtant, le volume des prêts accordés a chuté de près d’un tiers par rapport à l’exercice précédent. Les observateurs imputent cette forte baisse au comportement des accédants à la propriété et à celui des investisseurs. L’analyse est probablement pertinente, au moins pour partie : le sentiment des uns et des autres est que la tendance des prix est toujours baissière, en dépit de leur relative résistance dans notre pays. Et les incertitudes pesant sur le marché du travail incitent à la prudence pour des engagements de longue durée. Un point de vue confirmé par de nombreux prévisionnistes, dont les plus tranchants tablent sur une érosion des prix de 30% à 40% sur les années à venir : en phase de récession rampante, les pressions déflationnistes sont en effet dominantes.

Un contexte que les candidats à la cession d’immeubles appréhendent généralement mal : ils répugnent à consentir les rabais qui leur sont demandés et les transactions échouent. Un blocage psychologique : il est douloureux de renoncer à une plus-value que l’on a cru s’accumuler gentiment. Le dernier facteur qui explique sans doute la réduction du volume des transactions tient à l’approche des prêteurs : les temps sont également difficiles pour les banques, qui durcissent leurs conditions de financement. Notamment par l’exigence d’apports personnels significatifs, pour prévenir les risques accrus qui pèsent sur la valeur de la garantie hypothécaire. En somme, le marché immobilier est confronté à une situation qu’il a souvent rencontrée : lorsque les prix ne sont plus compatibles avec la solvabilité (réelle ou espérée) des acheteurs potentiels, le marché devient atone jusqu’à ce que les conditions de l’échange s’ajustent au pouvoir d’achat.

Des valorisations excessives

Dans notre pays, les phases du cycle immobilier sont moins violentes qu’en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, par exemple, où hausses et baisses peuvent se déclencher à grande vitesse et avec une amplitude spectaculaire. Car nos politiques publiques du logement interfèrent largement avec l’évolution « naturelle » du marché, et ce de façon nette depuis la fin de la Deuxième guerre, contribuant à lisser les variations. Qu’il s’agisse de subventionner le locataire et l’accédant, ou d’inciter l’investisseur sur le plan fiscal, tous les gouvernements qui se sont succédé ont apporté leur touche personnelle à la politique du logement. Dont l’objectif annoncé honore une société développée, s’agissant de permettre à tout citoyen de disposer d’un toit où abriter sa famille. Mais les dommages collatéraux du soutien public se manifestent sous la forme d’une pression à la hausse du prix des immeubles, et par corollaire de celui des loyers. Seule la mise à disposition d’une quantité suffisante de « logements sociaux », publics ou semi-publics, permettrait au marché libre de suivre l’évolution de la conjoncture – avec ses phases d’excès, bien entendu, mais dont les conséquences, positives ou négatives, ne seraient supportées que par les propriétaires, selon les principes de base de l’économie libérale.

L’ennui, c’est qu’une telle politique suppose de mobiliser des moyens collectifs très élevés. Si bien que l’habitude a été prise de mouiller les investisseurs privés dans la politique du logement. Avec des hochets fiscaux. Comme autrefois l’exonération des droits de première mutation – une mesure intelligente, qui n’a rien coûté au gouvernement qui l’a votée et contraint quasiment les propriétaires à conserver leur bien jusqu’au trépas –, puis diverses incitations à l’achat, que la misère budgétaire oblige à rogner régulièrement. Comme il est impossible de transporter les immeubles en Russie, les contribuables concernés sont assurés de prendre un coup de bâton, un jour ou l’autre, après avoir digéré la carotte fiscale. On ne peut pas faire confiance à un gouvernement en manque de ressources, pas plus qu’à un alcoolique ou à un toxicomane.

Voilà pourquoi la Chambre des propriétaires a récemment fait part de sa mauvaise humeur, et les motifs de grogne ne manquent pas : réduction des avantages fiscaux à l’acquisition, majoration de l’ISF, de la TVA sur travaux et de la taxation des plus-values, encadrement des loyers : les bailleurs ne sont pas vraiment choyés. Leur mécontentement est parfaitement compréhensible mais les arguments développés ne sont guère recevables : ni la santé du secteur de la construction, ni le déficit éventuel de logements ne leur sont préjudiciables. Au contraire : il en résulte des travaux potentiellement moins coûteux et des loyers plus élevés. Mais ce qui est indiscutable, c’est que les nouveaux dispositifs réduisent le rendement, déjà modeste : la rente immobilière s’amenuise pour le propriétaire qui entretient correctement son parc. La question à (re)poser est donc celle-ci : que peut-on raisonnablement attendre de l’investissement immobilier dans le long terme – l’horizon naturel pour ce type de placement ? Sous les effets successifs d’une forte inflation monétaire, puis d’une baisse considérable des taux d’intérêt, la valeur des immeubles a subi une hausse supérieure à la seule incidence des coûts et de la rareté foncière. Une partie des plus-values actuelles doit donc être considérée comme « anormale » en regard des mécanismes ordinaires de la formation des prix. Il est difficile de chiffrer la proportion de l’excédent, les situations étant inégales au plan géographique. Mais pour un produit aussi banal que le bâtiment, la protection du pouvoir d’achat, assortie d’un rendement de l’ordre du marché monétaire, devraient être des ambitions raisonnables pour l’investisseur. Car dans le long terme, un tel résultat est plutôt flatteur.

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