Budget et pâté d'alouette

Budget et pâté d’alouette

Le projet de Budget 2013 présente une singularité inédite : il mécontente tout le monde en n’épargnant personne. Sous l’angle politique, c’est un bon budget, conforme au « financièrement correct » des temps présents. Sous l’angle économique, c’est la prolongation douloureuse de l’agonie des temps anciens.

Reconnaissons-le : la publication du projet de loi de Finances est toujours un moment attendu. Mais enfin, dans les périodes popote où les débats budgétaires ne portent que sur des boutons de guêtre, où le gouvernement en place se ménage les marges de manœuvre pour permettre à l’opposition de sauver la face, où il suffit de distribuer quelques gâteries pour apaiser les fâcheries de pure forme, les critiques se limitent aux poncifs convenus : le budget n’est pas assez « social » ou pas assez « libéral », selon les préjugés des opposants du moment. Cette année, la donne n’est pas la même. Non qu’il faille redouter des difficultés dans le vote : les deux chambres sont largement majoritaires, même si la culture socialiste des « courants » est une source inépuisable de chamailleries intestines et de psychodrames domestiques. Mais il n’est pas faux de prétendre que le PLF 2013 marque une rupture aussi nette que celui de 1982, encore que ce soit pour des raisons radicalement différentes : l’ère mitterrandienne débuta par une générosité budgétaire que les opposants baptisèrent « gabegie », non sans raisons défendables ; l’épisode hollandien démarre au contraire sous les auspices d’une austérité dont le scénario aurait pu être écrit par les émules de Hayek, Von Mises ou Milton Friedmann – autant de références hérétiques pour un gouvernement rose, même rose pâle.

De ce fait, avant même de délivrer un avis éventuel sur le contenu de ce budget, il faut saluer l’exercice de Matignon et les acrobaties des techniciens de Bercy, pour présenter une copie qui tente de marier la carpe d’intentions politiques progressistes et le lapin des exigences non négociables des marchés. Sur la forme, le résultat est plutôt réussi et conforme à une approche « en équité » de la question délicate et controversée qu’est la justice fiscale et sociale : puisque les comptes nationaux sont calamiteux, personne ne doit être épargné. En vertu de ce principe, l’effort doit être équitablement partagé entre les ménages, les entreprises et les services de l’Etat : un jugement de Salomon qui inflige le tiers de la charge à chacune des parties concernées, dans une version réactualisée de la recette du pâté d’alouette. Est-ce un budget « habile », comme l’a observé un éditorialiste économique du Monde, probablement soucieux de nuancer sa conversion au néolibéralisme dominant ? Le qualificatif est acceptable sous l’angle de la perception politique : dans un pays comme le nôtre, imprégné de culture judéo-chrétienne, la pénitence infligée à chacun sans exception, avec une peine plus douloureuse pour les gros pécheurs (les « riches » et les grandes entreprises), constitue un gage de pertinence et de justice. Il en résulte un paradoxe dérangeant pour la cohérence théorique de la démocratie élective : une « bonne politique » serait celle qui déplaît à tout le monde…

Récession à tous les étages

Il n’était pourtant pas indispensable d’attendre sa publication pour connaître les grandes lignes du projet de budget : le signataire en avait depuis longtemps pronostiqué le contenu général (une taxation tous azimuts). Pour une raison simple : l’engagement ayant été pris de respecter scrupuleusement le retour à des ratios de gestion réputés vertueux, et de sacraliser la « règle d’or » avec ou sans la béquille constitutionnelle, les budgets à venir ne peuvent se bâtir qu’au prix de nouvelles et fortes ponctions, et d’une restriction de la dépense publique. C’est-à-dire un revirement complet par rapport aux pratiques budgétaires des décennies passées. Une seule vraie question mérite l’analyse : la stratégie retenue a-t-elle des chances raisonnables, même à moyen terme, de ramener le pays à l’équilibre financier et de le conduire sur le chemin d’une nouvelle prospérité – comme au bon vieux temps des Glorieuses ? Il faut ici observer que toutes les critiques émises sont fondées, au moins partiellement : les prélèvements accrus sur les revenus des ménages (notamment les classes moyennes), vont mécaniquement réduire la consommation, fragiliser un peu plus les entreprises autochtones et accentuer le chômage ; la pression sur les hauts revenus va booster le nomadisme fiscal, et les nouvelles charges sur les entreprises vont encourager l’exode des unités de production et des sièges sociaux ; la moindre dépense étatique impacte directement l’activité du pays et limite l’embauche.

Bref, qu’elle s’appelle rigueur ou austérité, la pingrerie budgétaire est toujours un boulet pour la croissance. Or, c’est sur cette dernière que compte notre gouvernement pour rendre crédible son plan de redressement. Mais il est difficile d’escompter, dans ce contexte, un sursaut de consommation et un surcroît d’investissements. Ne reste que la balance extérieure, qui penche chez nous du mauvais côté depuis pas mal de temps, et qui ne risque guère de se rétablir au vu de l’atonie économique persistante sur la planète entière. Si bien que notre pays, comme bien d’autres, se trouve en situation de squeeze : l’apurement de la dette n’est techniquement possible qu’au prix de souffrances cruelles et durables des populations. L’option est-elle tenable ? Oui, si l’on croit à l’instauration d’une démocratie dictatoriale capable d’asservir les citoyens aux intérêts des créanciers. Dans le cas contraire, ces derniers devront accepter ce qu’ils auraient dû subir dès l’année 2007 : la liquidation des dettes irrécouvrables. Cette hypothèse demeure à ce jour la plus probable. Mais personne ne peut en annoncer le calendrier.

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