Chantiers des Vallées (...)

Chantiers des Vallées : Une place pour les artisans du bâtiment

La tempête Alex n’a pas épargné les artisans du bâtiment dans les vallées. La CAPEB veut leur éviter la "double peine". Elle milite pour qu’ils ne soient pas les oubliés des futurs chantiers.

Plomberie, maçonnerie, charpente, menuiserie, carrelage, électricité, peinture..., les entreprises artisanales du bâtiment sont souvent "petites". Mais elles sont nombreuses et décidées à faire savoir qu’elles existent. C’est la mission que s’est fixée la CAPEB, l’organisation professionnelle qui veille sur leurs intérêts. Au lendemain de la tempête Alex, elle s’est logiquement mobilisée pour soutenir ses adhérents installés dans les vallées sinistrées. Et elle œuvre désormais pour que les chantiers qui s’annoncent soient une source de débouchés pour les artisans locaux, comme l’explique Sylvain Locci, président de l’antenne départementale de cette confédération.

Sylvain Locci, président de la CAPEB 06. DR JP

Pouvez-vous d’abord nous rappeler la vocation de la CAPEB ?
- La CAPEB est une organisation qui défend les intérêts des entreprises artisanales du bâtiment. C’est une confédération présente dans toute la France, chaque structure départementale étant indépendante. Notre rôle est d’apporter des réponses aux problématiques auxquelles les professionnels sont aujourd’hui confrontés, par exemple en matière de réglementation et de contraintes administratives, de nouveaux matériaux, d’énergie, de besoins de formation... L’ADN de la CAPEB, qui est reconnue en tant qu’organisation patronale représentative, c’est la défense d’un artisanat du bâtiment le plus indépendant possible. Nous accompagnons donc nos adhérents, qui sont des acteurs de proximité, pour qu’ils soient en mesure d’accéder en direct aux différents marchés, quelle que soit leur taille.

Justement, la CAPEB est-elle le syndicat des petites entreprises artisanales ?
- Nous avons environ 600 adhérents dans les Alpes-Maritimes, avec une proportion d’un tiers d’indépendants pour deux tiers d’employeurs. La majorité des entreprises ont entre deux et sept salariés, mais les effectifs de
certaines d’entre elles dépassent les trente collaborateurs.

Quels sont vos combats du moment ?
- Depuis une dizaine d’années, nous intervenons principalement dans le domaine de l’énergie, notamment pour que les chantiers aidés par les pouvoirs publics n’échappent pas aux petites entreprises qui réalisent peu de travaux de rénovation énergétique, lesquelles ont du mal à satisfaire les modalités de qualification officielle. Et nous avons récemment obtenu une victoire puisque le ministère du Logement vient de lancer une expérimentation qui reprend en grande partie les principes d’un dispositif de qualification que nous avons défendu.
Ces derniers mois ont aussi été marqués par la crise sanitaire, qui a impacté nos entreprises. Et bien sûr par la tempête Alex, au lendemain de laquelle la CAPEB s’est mobilisée pour soutenir ses adhérents sinistrés.

De quelle manière ?
- Nous avons rapidement pris contact avec les entreprises des vallées et nous nous sommes associés aux chambres consulaires, en particulier celle des métiers et de l’artisanat, qui ont créé un guichet unique pour accompagner les entrepreneurs au moment de réaliser leurs démarches administratives, après la catastrophe. Notre confédération a par ailleurs déployé un fonds de solidarité qui nous a permis de verser 1 000 à 1 500 euros d’aide d’urgence à nos adhérents touchés par la tempête. Ce fonds est abondé annuellement grâce à une part des cotisations perçues dans chaque CAPEB de France. Je me suis rendu sur place pour remettre les chèques aux bénéficiaires et recueillir leurs besoins.

Quelles demandes vous ont été formulées ?
- Dans la Roya, nos adhérents nous ont par exemple informés que nombre de personnes étaient amenées à utiliser des engins spécialisés. Or, pour être en règle, elles devaient être titulaires d’un certificat d’aptitude à la conduite de ce matériel (CACES). Nous avons donc sollicité un organisme de formation qui est intervenu sur site pour que des artisans, mais aussi d’autres habitants de la vallée, valident leurs compétences dans ce domaine.

D’autres requêtes ?
- Les entrepreneurs nous ont exprimé un sentiment d’injustice. Ils se sont impliqués bénévolement, dans les jours qui ont suivi le passage de la tempête, au nom de l’intérêt général, mais ils se sont retrouvés exclus des premiers chantiers. L’essence de leur activité, c’est pourtant la proximité. Ils ont d’autant plus besoin de travail sur place, et c’est particulièrement le cas dans la Roya, que l’enclavement les a empêchés d’aller chercher des marchés ailleurs.

Comment remédier à cette situation ?
- J’ai écrit aux élus pour les informer de cette réalité. J’ai même rencontré les maires de Tende, Fontan et Breil-sur-Roya pour leur rappeler que les artisans locaux du bâtiment ne devaient pas être les oubliés de la reconstruction. Et qu’il importe, dans le respect des dispositions légales, de les faire travailler. Nous avons proposé à ces derniers, qui attendent avec impatience le lancement de la remise en état des logements et des autres bâtiments endommagés, de suivre une formation qui leur permettrait de mieux accéder aux marchés publics.
J’ai par ailleurs adressé un courrier au préfet sur le problème de l’accès routier, qui pénalise grandement l’activité de certaines entreprises. Enfin, il faut signaler que la CAPEB soutient une revendication portée par les élus de la Roya, qui réclament l’instauration d’une zone franche sur leur territoire. Cette mesure permettrait de compenser la perte d’activité et les surcoûts liés à l’enclavement.

La CAPEB a orchestré une formation à la conduite d’engins spécialisés pour ses adhérents. DR

Les collectivités appelées à une attention bienveillante

Michel Ambrassi (à gauche), maçon à Saint-Martin-Vésubie, a reçu un chèque de soutien de la part de la CAPEB, remis par le président Sylvain Locci (à droite). DR

Pour les artisans des vallées, la tempête Alex a causé deux types de dégâts. D’aucuns ont vu leur outil de travail sévèrement touché. D’autres ont été plus heureux le jour du déluge, mais continuent de subir, près de cinq mois plus tard, les conséquences de la bombe climatique.
Le cas de Michel Ambrassi illustre les deux catégories à la fois. Le 2 octobre, ce maçon de Saint-Martin-Vésubie a vu son dépôt de la zone artisanale du Pra d’Agout emporté par la crue de la rivière. Adieu mini chargeur, bétonnière, banches, godets de pelle mécanique... Bilan financier du sinistre : 70 000 euros HT en valeur de remplacement. "Les assurances ont joué leur rôle", souligne ce quinquagénaire, qui emploie un salarié à l’année. "J’ai été indemnisé et j’ai pu racheter une partie du matériel". L’entrepreneur a par ailleurs été soutenu par la CAPEB et le Secours catholique, qui lui ont remis un chèque pour l’aider à redémarrer. Et il a reçu un appréciable coup de pouce de la Chambre de métiers et de l’artisanat, de la Région et du Département. "Cet argent est très utile. Mais maintenant, c’est de travail dont j’ai besoin. Avant la tempête, j’avais trois mois de chantiers en avance. Il ne m’en reste plus qu’un, dont à peine une semaine en lien avec ces intempéries".

Les contraintes de l’enclavement

Sophie Cottalorda dirige l’entreprise artisanale créée à Tende par son père, Pierre Guido. DR

L’ampleur des ravages d’Alex pourrait laisser penser qu’une manne attend les artisans locaux. Mais la réalité est tout autre. C’est ce que constate aussi, entre autres écueils, Sophie Cottalorda, qui dirige avec son mari, Daniel, l’entreprise Guido Pierre, à Tende.
Spécialisée dans la maçonnerie, l’électricité et les énergies renouvelables, sa structure (13 collaborateurs) n’a pas été directement impactée le 2 octobre. Elle souffre cependant au quotidien de l’enclavement de la Roya. "Les difficultés d’accès constituent un frein à notre activité. Notre vie et notre travail sont désormais rythmés par les horaires des convois qui ne permettent de remonter ou descendre la vallée que le matin, à la mi-journée et le soir". Cette contrainte a des répercussions pécuniaires : "Nous devons absorber le surcoût généré par la perte de temps et les détours". Mais aussi sur les approvisionnements : "Nous n’avons plus qu’un fournisseur qui accepte de nous livrer", indique Sophie Cottalorda, en saluant toutefois une initiative de la Communauté d’agglomération de la Riviera française : "Elle a mis en place un service de livraison. Les marchandises sont déchargées à Breil-sur-Roya puis acheminées par camions vers le haut de la vallée. Sans cette initiative, l’exercice des entreprises serait impossible".

Les exclus de la reconstruction

L’organisation par la CAPEB d’une formation sur la conduite des engins spécialisés, suivie par plusieurs de ses employés, a également été la bienvenue. "Elle nous a permis de remettre à plat nos qualifications afin d’être prêts en vue de travaux nouveaux pour nous". Une perspective qui tarde à se concrétiser...
Comme plusieurs artisans des vallées, Sophie Cottalorda regrette que l’immense défi de la reconstruction ne profite pas davantage aux plus petits représentants du tissu économique local. "Nous ne pouvons pas prétendre aux plus importants chantiers routiers, mais beaucoup de travaux plus modestes sont accessibles aux entreprises de la vallée". Michel Ambrassi la rejoint sur ce point, évoquant les réfections de murs, le travail de la pierre, les petits terrassements... "Croire que nous ne pourrions être associés à la reconstruction que par le moyen de la sous-traitance auprès des grandes sociétés qui ont les marchés serait une erreur. Cette option est financièrement risquée pour un artisan, qui est soumis à des prix généralement très tendus".

L’avenir des villages en jeu

Pour la dirigeante tendasque, qui n’a pour l’instant reçu qu’une demande de devis de la part de sa commune, la réponse à la problématique se trouve plutôt dans l’allotissement : "Nous souhaitons que les travaux des collectivités soient allotis pour qu’ils puissent être assurés par les petites entreprises". Et Sophie Cottalorda d’espérer en la matière "une attention
bienveillante. Il en va du futur de notre territoire, qui se retrouve encore plus fragile que par le passé. Nous sommes tous interdépendants, les élus doivent avoir cette réalité à l’esprit
".
C’est bien ce que pense Michel Ambrassi, qui a vu le contexte économique de son cru évoluer depuis qu’il a pris la suite de son père. "Quand il s’est installé à la fin des années 1970, Saint-Martin-Vésubie comptait encore dix
artisans maçons. Nous ne sommes plus que deux aujourd’hui. Avec la gestion de l’après-tempête, nous jouons l’avenir du village
".

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