Chantiers du gouvernement

Chantiers du gouvernement : la France peut-elle se sortir de la crise ?

Crise mondiale, balance commerciale toujours plus déficitaire, taux de chômage très élevé, démographie dynamique… Le quinquennat de François Hollande débute dans une situation économique complexe. Si tout n’est pas noir, les curseurs seront délicats à faire bouger.

Après l’heure des bilans, voici celle de l’« état des lieux des grands chantiers » à venir de l’économie française. Le 22 mai, Philippe d’Arvisenet et Hélène Baudchon, économistes de la banque BNP Paribas faisaient part de leur analyse de la situation de l’Hexagone, à Paris, lors d’une conférence de presse. Taux de chômage à 10%, déficit budgétaire de 5,2% du PIB, dette à 85,8%, déficit commercial qui se creuse, désindustrialisation galopante… Au-delà de la crise globale, à quoi sont dues les faiblesses de l’économie française ? La comparaison avec l’Allemagne fournit quelques clés d’explications, estiment ces analystes.

Les deux faces de la demande interne

La demande interne des deux pays, par exemple, se comporte différemment. En France, en effet, durant la crise, « la demande interne a été particulièrement soutenue, plus qu’en Allemagne. Cela tient en partie au comportement des salaires, qui est différent dans les deux pays », explique Philippe d’Arvisenet, directeur des études économiques de BNP Paribas. Pour l’économiste, la réactivité des salaires au taux de chômage diffère entre les deux voisins. Outre-Rhin, lorsque le chômage augmente, les salaires diminuent, ce qui n’est pas le cas en France. Si le comportement de la consommation – également dû aux amortisseurs sociaux - atténue les effets de la crise en France, il a également des effets sur un point particulièrement dolent de l’économie : le solde commercial. Le dynamisme de la demande interne a servi en France « une poussée des importations plus forte que dans les autres pays, en moyenne », estime Philippe d’Arvisenet, qui rappelle qu’ « en France, au début de la décennie, le solde commercial était positif. C’est au début des années 2000 qu’a commencé la dérive ». Et, pour lui, l’Euro ne peut être tenu pour responsable de cette évolution. « En 1999, après le lancement de l’Euro, l’Allemagne a réussi à faire croître ses exportations plus vite que l’évolution de la moyenne du commerce mondial, mais pas la France », argumente Philippe d’Arvisenet.

Tissu de PME en dentelles

Du coté de l’offre, s’impose la différence structurelle entre le tissu économique allemand, plus dense en grandes PME que les Françaises, lesquelles peinent à croître. Autre élément de comparaison, « le taux de natalité des entreprises françaises et aux Etats-Unis est quasiment identique. La grande différence est qu’après quatre ou cinq ans, aux Etats-Unis, leur taille a été multipliée par 5. En France, elles ont cru de 10 à 20%. Il y a un problème de croissance des entreprises », commente Philippe d’Arvisenet. « L’outsourcing est l’autre grande différence entre France et Allemagne. La France a délocalisé une certaine production jusqu’au stade final (…). Les Allemands sous-traitent la production intermédiaire, puis réimportent et exportent depuis l’Allemagne », explique l’expert. Par ailleurs, les produits français exportés sont plus sensibles aux variations de prix que ceux des Allemands. Ce qui, pour l’économiste, pose la question du coût du travail. « Début 2000, le coût unitaire du travail était similaire en Allemagne et en France. Puis, il y a eu une dérive en France. Cette différence d’évolution ne tient pas tellement au gain de productivité, qui a eu la même évolution », ajoute Philippe d’Arvisenet qui invoque en revanche, le « choc des 35 heures ».

Atouts hexagonaux

Malgré tout, « la France ne part pas sans atouts », estime Hélène Baudchon, analyste de BNP Paribas pour la France. Parmi eux : une démographie dynamique ou encore l’existence d’une épargne populaire. « C’est essentiellement une épargne de protection, mais cela représente aussi de potentielles ressources mobilisables pour assurer une croissance plus dynamique », commente l’économiste. Côté endettement, celui « privé reste dans les limites du raisonnable », estime-t-elle. Quant à la dette publique, certes, elle a été dégradée par l’une des trois agences de notation, néanmoins « elle reste encore une valeur refuge (…) qui permet un coût de financement abordable », analyse Hélène Baudchon. Parmi les atouts identifiés figurent également « un grand nombre de multinationales de renom et un savoir-faire dans certains secteurs ». Dernier point : « le pays est attractif pour les investissements étrangers directs », rappelle Hélène Baudchon. Ces points forts ne seront pas de trop pour faire face aux multiples défis actuels, faiblesse de la croissance, chômage, dette et faible compétitivité, qui sont « interdépendants », juge l’économiste. La croissance, par exemple, est le « remède le plus rapide » pour rééquilibrer les finances publiques. Mais trouver la croissance signifie « remédier aux causes du chômage et de la faible compétitivité ». Et pour améliorer cette dernière, « il faut remédier à la rigidité structurelle du marché du travail, assainir les finances publiques », poursuit Hélène Baudchon.

Le défi de la rigueur

Le programme présenté par le président de la République, François Hollande, serait insuffisant pour faire face à ces défis. « Les mesures ne sont pas à la hauteur des enjeux », estime Hélène Baudchon, pour qui il manque des « réformes majeures », par exemple sur la compétitivité ou le rééquilibrage des finances publiques, l’un des défis principaux du nouveau gouvernement. Aujourd’hui, le déficit budgétaire représente 5,2% du PIB. « Avec un horizon de 3% à horizon 2013, il faut faire 4,4% cette année. Le delta est significatif », souligne Philippe d’Arvisenet. Et, là, l’enjeu de la dépense publique s’impose. « Il y a une différence notable entre la France et l’Allemagne, qui est plutôt allée vers une modération de la dépense, avec une baisse sensible entre 2002 et 2007. Cet effort sensible sur les dépenses n’a jamais été réellement présent en France », ajoute-t-il. En matière de finances publiques « le plus dur reste à faire », ajoute Hélène Baudchon, qui rappelle que le problème « ne date pas d’hier. Il n’y a pas eu un excédent budgétaire depuis 1974. (…) La résorption du déséquilibre budgétaire est en cours. Il y a eu des progrès sensibles, à ce stade, sans impact majeur sur l’économie française. Pour l’instant, la rigueur est plutôt bien dosée. Nous ne sommes pas tombés dans la trappe à austérité, où rigueur et récession s’entretiennent. C’est cela qu’il faut absolument éviter ». L’enjeu n’est pas seulement français, mais au moins européen, et pose la question de la gestion de la crise à cette échelle.

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