Chine : comment gérer (...)

Chine : comment gérer la croissance ?

Vient de s’achever en Chine la longue session plénière de l’Assemblée des députés et de la Conférence consultative. Où les élus soumettent courtoisement leurs vœux à ceux qui « formulent et mettent en œuvre la politique ». Lesquels sont désormais sensibilisés à la nécessité de donner satisfaction à la rue. Car elle est passablement énervée…

Combien de vies faut-il avoir vécu pour espérer comprendre les intentions des dirigeants chinois, au travers de la grand-messe qu’est la session plénière de l’Assemblée populaire nationale (APN), qui se tient chaque année en même temps que celle de la CCPPC ? A savoir la Conférence consultative politique du Peuple chinois, un organe regroupant les partis et organisations ayant fait alliance avec le Parti communiste chinois (PCC) lors de la guerre civile (1946-49) et ayant, à ce titre, gagné le privilège de constituer une sorte de chambre haute, à voix consultative. Tout aussi consultative, en réalité, que la voix des députés de l’APN : ils seront environ 2 000 aux prochaines élections de 2013, la nouvelle loi électorale ayant réduit le ratio de représentation à 1 député pour 670 000 habitants, mais leur contribution à l’activité législative n’en sera probablement pas accrue. A peine moins que celle de leurs homologues français, proportionnellement cinq fois plus nombreux : sans vouloir offenser nos élus, leur participation à la production législative se résume généralement au vote des projets gouvernementaux, avec une stricte discipline majoritaire qui rend le résultat aussi prévisible que dans l’Assemblée chinoise…
Une autre ressemblance apparaît entre deux approches de la démocratie apparemment très dissemblables : le sondage devient un outil majeur de gouvernement. Si l’on en croit Le Quotidien du Peuple, qui demeure le canal favori du discours officiel, les autorités auraient commandité des enquêtes d’opinion réalisées au travers du réseau Internet. Au vu des résultats, on comprend que le gouvernement mette désormais en avant son ambition de structurer la protection sociale…

Une impatience grandissante

Toujours selon Le Quotidien du Peuple, ce sont en effet les mêmes préoccupations qui sont mises en avant, dans une formulation atténuée par la sensibilité des sondeurs à la crudité (probable) des critiques. Il en ressort, dans une transposition à l’occidentale des opinions relevées, que le plus grand nombre se plaint d’une mauvaise répartition des revenus, de la cherté relative du panier de la ménagère sous une sécurité alimentaire douteuse, et d’une « sécurité sociale » (santé et retraite) rudimentaire. Le tout mâtiné d’attaques ad homines : on ressent une exaspération palpable à l’égard de la corruption, laissant supposer que cette dernière est véritablement institutionnalisée. Ce sentiment se traduit par le souhait d’une régulation des marchés immobilier et boursier, afin que « la confiance soit rehaussée ». En d’autres termes, que ces grands collecteurs de l’épargne ne soient plus les coupe-gorge d’aujourd’hui. Finalement, les critiques de la société chinoise contemporaine ne sont pas très éloignées de celles adressées à leurs gouvernements respectifs par les populations occidentales. Selon quoi le « socialisme de marché » chinois, que le reste du monde appelle plus simplement « capitalisme d’Etat », génère des dommages collatéraux de même nature que son homologue libéral. Des difficultés ressenties avec d’autant plus d’aigreur qu’elles sont nettement moins masquées que chez nous, et que la cadence à laquelle se poursuit le développement de la Chine rend ses ressortissants impatients de goûter aux fruits de la prospérité. Les autorités se montrent attentives à l’évolution des mentalités et aux aspirations nouvelles pour un environnement libéré du carcan rigoureux de « l’ordre ancien », celui qui est dominé par la bureaucratie fliquée caractéristique de la dictature – fût-elle celle du prolétariat. D’évidence, ce n’est pas au sein de la représentation parlementaire (élue au suffrage doublement indirect, c’est-à-dire consciencieusement épurée par les filtres du régime) que l’on peut raisonnablement attendre les réformes nécessaires. Il suffit d’observer la discipline toute militaire avec laquelle les députés endurent les interminables discours officiels (la session dure dix jours…), et l’humilité respectueuse avec laquelle ils présentent leurs « vœux », supposés synthétiser les attentes de leurs administrés. Le Parti demeure le seul dépositaire du pouvoir, le monarque absolu de la République populaire. Un statut difficile à tenir dans une société qui évolue manifestement plus vite que sa gouvernance.

La Chine est finalement confrontée à un scénario voisin de celui des entreprises qui ont souvent, en phase de décollage, besoin d’autres dirigeants que les créateurs : il faut alors des développeurs, avant que n’arrive le règne des gestionnaires. C’est pourquoi la question de la croissance revêt une telle importance pour les autorités. L’équation n’est pas facile à résoudre : il faut créer suffisamment de richesses pour ne pas rompre la dynamique, mais pas emballer la machine au risque d’accroitre dangereusement les déséquilibres et les inégalités. Il faut capter des ressources à l’exportation sans épuiser les clients étrangers, financer les déficits de ces derniers sans s’exposer à leur banqueroute et en même temps distribuer chez soi la bonne dose de pouvoir d’achat, afin de prévenir tout soulèvement des masses. La plupart de ces objectifs étant contradictoires, leur dosage relève de l’alchimie. En tout cas, Pékin a rendu son verdict : la cible de croissance est fixée à 7,5% pour cette année. C’est moins que les années précédentes, mais encore ambitieux dans le contexte général de déprime. Avec des engagements sans équivoque en direction de la population : en matière de santé, de retraite et de répartition des revenus. A ce jour, les revenus chinois sont plus inégalitaires en Chine qu’aux Etats-Unis, ce qui fait de l’ombre à la mémoire de Mao. Et la tendance s’est encore aggravée l’année dernière, en dépit des réformes…

deconnecte