Compétitivité : pactiser

Compétitivité : pactiser sans négocier

Le rapport Gallois n’aura donc pas été enterré. Au contraire, le « pacte pour la compétitivité » proposé par le Premier ministre répond assez fidèlement aux attentes des entreprises. En revanche, l’esprit du rapport semble avoir été négligé. Quant à l’importance du dialogue social dans la conclusion d’un tel pacte.

La compétition économique n’obéit pas à l’éthique coubertienne : l’important n’est pas de participer (tout le monde y est désormais obligé). L’important, c’est de faire partie du club des gagnants, ainsi identifiés les pays qui parviennent à capter, auprès des autres participants, plus de richesses qu’ils ne sont eux-mêmes contraints de leur abandonner. L’objectif n’est donc pas de parvenir à l’équilibre mythique des économistes classiques, mais de faire la différence. Il en résulte une âpre bagarre, rarement loyale, émaillée de coups bas et ternie par l’usage de dopants, les uns ignorés, les autres prohibés par la réglementation de la concurrence – l’équivalent de la Convention de Genève dans la guerre commerciale. C’est dans ce contexte que Louis Gallois a été commis pour baliser le chemin d’une stratégie qui fait consensus : restaurer la compétitivité de l’industrie française. Laquelle n’a cessé de décliner sur la décennie écoulée, avec deux conséquences dommageables : d’énormes pertes d’emplois et un déficit grandissant de la balance commerciale.

Pendant cette période, les entreprises ont principalement réagi à la concurrence par l’abaissement de leurs prix : les marges ont ainsi été fortement érodées, et avec elles les budgets affectés à la recherche et à l’investissement. Ainsi, le présent n’est pas brillant et l’avenir est hypothéqué. Les limites de la compétitivité-prix ayant été atteintes, les seules voies de salut résident dans l’amélioration de la compétitivité-coût et hors-coût (les normes qualitatives), sans avoir recours à l’option dérangeante de la délocalisation. Dans l’industrie, le poste salarial représente la part dominante des coûts de production. Si bien qu’avant même que Gallois eût rédigé la première phrase de son rapport, chacun en connaissait la principale préconisation. Notamment le Gouvernement : dès le lendemain de la remise dudit rapport, un séminaire ad hoc arrêtait le contenu du « pacte » approprié, levant ainsi les dernières incertitudes sur les modalités pratiques de l’abaissement du coût du travail. Au moins jusqu’à leur validation par le Parlement.

Pacte et décret

Ainsi, les 22 mesures proposées par Louis Gallois ont (presque) toutes été validées par Matignon, anéantissant le pronostic préalable selon lequel le rapport serait enterré avant d’être publié. Le Premier ministre en a même tiré 35 mesures, démontrant la compétitivité de son administration ; mais la plupart d’entre elles relèvent du « hors-coût », ou du hors-bilan si l’on préfère, qui mobilise beaucoup de talent rhétorique mais peu ou pas d’argent. La mesure phare annoncée consiste donc en l’octroi aux entreprises de 20 milliards de crédit d’impôt, au lieu du même montant de minoration des charges patronales prévu dans le rapport. Dépense compensée pour moitié par une réduction des dépenses publiques (mesure consensuelle) et par un relèvement modéré de la TVA – au lieu d’un puissant coup de pouce à la CSG (qui fait fondre le salaire net et la popularité du gouvernement). Du point de vue des entreprises, le résultat est identique sur le plan comptable, même si le cheminement est très différent – d’aucuns y voient déjà une nouvelle usine à gaz, ce qui pourrait bien être le cas après l’ajout probable d’amendements conditionnels à l’obtention de l’aide. Pour le pékin moyen, l’esprit de la mesure n’est pas modifié : il y a fiscalisation partielle des charges patronales, c’est-à-dire leur transfert à l’impôt. Mais à l’impôt indirect (la TVA), plus « indolore » que la ponction directe qu’est la CSG (moins efficace aussi en termes de rendement).

Parmi les motifs justifiant le choix du Gouvernement, certains sont limpides. Le premier relève d’une simple question de trésorerie : l’essentiel de l’impact budgétaire n’interviendra qu’en 2014, alors qu’il aurait été immédiat avec la réduction directe du taux de charges. Le deuxième est en phase avec la crainte (légitime) des conséquences de la réduction du pouvoir d’achat des ménages en période de basse conjoncture : le relèvement significatif de la CSG proposé par Louis Gallois aurait abaissé le salaire net. Le Gouvernement n’y touche pas. Ainsi, les entreprises bénéficient bien des 20 milliards espérés et le pouvoir d’achat des ménages n’est pas trop érodé. Au final, après un séminaire express, le dispositif proposé revêt un caractère purement technique. Loin de la solennité du « pacte » qu’impose, semble-t-il, la gravité de la situation. On observera que la hiérarchie des préconisations du rapport est très différente de celle des mesures annoncées. Louis Gallois met en premier la stabilité réglementaire, un préalable cohérent à l’engagement des entreprises dans la durée. Mais ses deuxième et troisième mesures concernent le dialogue social, avec notamment une représentation significative des salariés dans les conseils d’administration (des grandes firmes). L’idée sous-jacente est directement inspirée du « modèle » allemand, que Louis Gallois a pu observer in vivo : les salariés adhèrent aisément à une stratégie, même contraignante, quand ils ont été partie prenante à son élaboration. Or, tout ce qui concerne le dialogue social a été relégué à la fin de la présentation du « pacte » par le Premier ministre, à l’endroit exact où l’orateur place ordinairement son couplet lyrique de vœux pieux. Il est donc à craindre que l’exécutif ne se soit focalisé sur la lettre du rapport Gallois plus que sur son esprit. Et ne rende ainsi l’avenir difficile, quand il faudra resserrer le licol de l’austérité. Conclure un pacte avec quelqu’un suppose de négocier avec lui. Dans le cas contraire, ce n’est pas un pacte, mais un décret.

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