En quête d'une politique

En quête d’une politique

Les économistes professionnels sont à la peine. Non parce que leurs modèles sont inopérants : c’était déjà le cas avant. Mais désormais, tout le monde le sait. Ce gouffre théorique donne le vertige aux autorités pour la définition d’une « politique économique ». Voilà sans doute pourquoi on exhume de vieilles recettes.

On finira bien un jour par admettre que la science dite économique est au comportement humain ce que l’alchimie est à l’industrie des métaux : un tissu de spéculations quelquefois sophistiquées, souvent drolatiques sinon complètement allumées. Ce n’est pas que toutes les théories soient inopérantes ou absurdes ; mais les modèles qui en découlent pèchent tous par le même travers : ils réduisent l’activité humaine à celle d’un homo œconomicus virtuel, un être hyper-rationnel aussi prévisible qu’une baignoire face à un problème de robinets. Heureusement pour nous tous, ce sapiens n’existe que pour permettre aux différents modèles de trouver leur équilibre. L’équilibre général est le sésame du modèle de Walras, la clef du modèle IS/LM de Keynes. Il faut convenir, ne serait-ce que sur la base du bon sens, qu’il y a nécessairement une relation entre le taux d’intérêt, l’épargne et l’investissement, entre la quantité de monnaie dont dispose le pékin et ses dépenses de consommation, donc une relation avec la production des firmes et l’emploi.

Mais il faut se rendre à cette évidence : il n’y a pas plus d’équilibre général que de concurrence « pure et parfaite », pas plus d’agent économique totalement rationnel que de beurre en broche. Quand les affaires vont leur train normal, en phase ou en désaccord avec les modèles, seuls les économistes s’en émeuvent en secret. Normal : avant Newton, le fait de recevoir une pomme sur la tête relevait de la malchance, pas de la loi universelle de gravitation. Mais la bosse était la même. Quand la conjoncture se détériore et vient déséquilibrer l’optimisme ambiant, les autorités ajoutent une louche d’imperfections, voire une soupière, à la concurrence imparfaite. Mettant ainsi en surtension des agents économiques déjà suspects de lourdes carences en matière de rationalité. Au début des années 90’, François Rachline avait ébranlé les théoriciens de l’équilibre avec son essai : De zéro à epsilon, l’économie de la capture. Dans cet opus, le système économique est représenté « comme un ensemble de dettes qui circulent sans espoir d’extinction », une formule prophétique à l’aune des temps présents. A ceci près toutefois que le différentiel entravant l’équilibre n’était encore qu’un epsilon à l’époque – l’epsilon désigne en mathématiques une valeur non nulle mais très faible ; l’epsilon est désormais devenu majuscule et les théoriciens de l’équilibre en sont réduits à manger leur bonnet.

Navigation à l’estime

On comprend en conséquence qu’il soit maintenant très prétentieux, pour rester poli, de conduire une « politique économique », avec le double objectif de réduire la dette nationale et de doper le PIB. Faute d’assise théorique attestée, cela revient à naviguer à l’estime. On est au regret de constater que notre Ministre redresseur découvre le modèle keynésien – ou plus exactement son interprétation la plus consensuelle – au moment où la productivité dudit modèle s’est abîmée dans la sénilité. Après qu’ont été pourfendus l’inconséquence, l’égoïsme et la rapacité des Peugeot, le gouvernement se fend d’un « plan automobile » sous la forme principale d’une… nouvelle subvention à l’achat de bagnoles neuves. Puisque notre idéal de vie se résume à la croissance du PIB, il suffit de stipendier le consommateur pour écouler une production inutile. Vivement que les boulangers, les cordonniers et les ferblantiers connaissent des difficultés : nous irons alors faire nos courses chez le percepteur. En fait de « changement », nous avons renoué avec les plus vieilles lunes de la science économique.

Dans le domaine de la finance, l’avenir promet de donner lieu à quelques douloureuses contorsions. Après avoir souligné l’incompétence crasse de nos industriels de l’automobile, voilà que le même ministre s’attaque à celle des investisseurs institutionnels – les assureurs en particulier. Ces professionnels manipulent des montagnes d’argent (1 370 milliards à ce jour dans l’assurance-vie) et que font-ils ? Ils achètent principalement des créances (souveraines et privées) au lieu d’investir dans les fonds propres des entreprises, notamment les PME. Scandaleux et antipatriotique. On veut bien admettre que les gestionnaires de l’assurance ne sont pas nécessairement des gourous ; mais ils n’ont pas appris leur métier dans le Journal de Spirou. Ils sont donc attentifs aux procédures requises par une gestion actif/passif rigoureuse ; scrupuleusement respectueux des règles prudentielles qui leur sont imposées ; obsédés en permanence par l’obligation de générer un rendement supérieur aux engagements contractuels. L’ensemble de ces contraintes fait que la part des actifs investie en actions est nécessairement modeste, et que la part consacrée à l’amorçage et au capital-développement est homéopathique. Non par volonté de narguer le ministère du Redressement productif, mais parce que ces secteurs nécessitent une gestion lourde et coûteuse, et que leurs résultats historiques sont… peu encourageants. Du reste, l’expérience avec incitation fiscale a été tentée par le passé : ce fut un flop pour tout le monde. Pour lever des fonds, va donc rester comme unique solution celle de… taxer davantage l’assurance-vie, qui doit surtout son succès à un régime fiscal favorable. Il est tentant de vouloir prélever dans cet énorme gisement. Mais c’est très risqué : banaliser l’assurance aurait pour effet de provoquer des rachats massifs de contrats, de mettre en péril les compagnies et de priver la collectivité de leur force de frappe en matière d’achat d’emprunts d’Etat. Personne n’a prétendu que le « redressement productif » du pays était chose aisée. Il ne suffira donc pas d’exhumer de vieilles recettes pour y parvenir. Surtout si elles ont échoué dans le passé.

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