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Financiarisation de la santé : « On va à grands pas vers un système à l’américaine »

Le phénomène de financiarisation de la santé, qui touche, entre autres, laboratoires d’analyses et centres de radiologie, inquiète de plus en plus de professionnels en France, estimant que la santé se trouve lésée, au profit de la rentabilité.

Peut-être davantage que la Covid, que l’expansion du moustique-tigre ou que les graisses présentes dans les aliments transformés, un danger menace la santé des Français. Il est dénoncé par des spécialistes de la question : la « financiarisation ». Elle concerne déjà les EHPAD, mais aussi les centres dentaires associatifs, les laboratoires d’analyses médicales, les centres de radiologie, la médecine libérale.

De quoi s’agit-il donc ?

De la création d’importants groupes autour de ces spécialités et de quelques autres, qui rachètent des laboratoires et centres indépendants pour les insérer dans un réseau plus vaste.
À la clé, des économies d’échelles pour les groupes, mais pas forcément des tarifs pour les assurés...
Les Académies de Médecine et de Pharmacie ont alerté, tout récemment, sur cette tendance lourde qui a vu le nombre de laboratoires d’analyses indépendants dégringoler en France de 5 000 il y a 25 ans à... 400 aujourd’hui.

De gros investissements

Ce qui a fait évoluer la situation de manière si radicale, c’est la législation européenne. Elle a autorisé les laboratoires à ne plus être détenus comme auparavant à 51 % au moins par un professionnel diplômé. Conséquence : les groupes financiers ont flairé la bonne affaire, ont racheté des indépendants ou sont entrés majoritairement dans leur capital.
Cela fut d’autant plus facile que l’éparpillement a facilité les fusions-acquisitions. Et que les cédants arrivant à l’âge de la retraite y ont trouvé leur intérêt.
Avantage : la surface financière de ces groupes leur a permis de réaliser de gros investissements immobiliers mais aussi en matériels médicaux, de plus en plus performants et coûteux. Inconvénient : leurs préoccupations reposent aussi sur les résultats, bénéfices et dividendes à verser aux actionnaires.
Ce phénomène de concentration pèse sur la santé publique du juste prix. « Face à l’effondrement de notre offre de soins dans tous les secteurs et à l’impuissance politique qui l’accompagne à ce jour, le risque de voir se généraliser une offre issue de cette financiarisation n’a jamais été aussi grand en France. Sous l’habit du chevalier blanc de la lutte contre la pénurie, les groupes financiers finiront par condamner toute reconstruction d’un modèle universel solidaire comme nous l’enseigne les sciences sociales  » relève Frédéric Bizard, économiste à l’ESCP Business School. Pour lui, il ne fait pas de doute que sous la volonté de lutter contre la pénurie de l’offre, les groupes financiers finiront par prendre le pouvoir sur le système de santé.

Rentabilité en ligne de mire

« On va à grands pas vers un système à l’américaine, coûteux, rendant de mauvais services, mais rentable pour le capital  », confirme le médecin urgentiste Christophe Prudhomme, citant comme exemple caricatural celui des EHPAD et les dérives observées.
« Les professionnels de santé hospitaliers dénoncent depuis longtemps l’emprise de la pensée et des outils financiers notamment à travers la tarification à l’activité (T2A) qui valorise des groupes homogènes de diagnostics. Il est frappant que ce soit aujourd’hui des médecins, des biologistes, des dentistes ou des paramédicaux libéraux qui dénoncent avec le plus de vigueur l’impact de la financiarisation sur leurs pratiques et leurs organisations », souligne Avenir Spé, le syndicat national représentant les spécialités médicales et médico-chirurgicales, hors les spécialistes en médecine générale.
Pour autant, et comme rien n’est jamais blanc ou noir, des groupes se sont également créés avec à leur tête des diplômés des professions médicales, ce qui leur donne la double compétence, celle d’une gestion éclairée avec comme objectif une bonne rentabilité, et celle de leurs spécialités qu’ils maîtrisent à haut niveau après des années d’études.

Visuel de Une : illustration DR

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