L'immobilier à la loupe

L’immobilier à la loupe

Vient de paraître une intéressante étude sur la dynamique du marché immobilier de douze zones urbaines. Les statistiques notariales ont constitué une base de données irremplaçable pour les auteurs. Résultat : la confirmation de certitudes bien ancrées, des démentis surprenants et quelques ouvertures prometteuses.

Douze ans de transactions immobilières dans les douze principales zones urbaines du territoire : tel est l’objet de l’analyse proposée par trois chercheurs, sous l’inspiration conjointe de l’Université Paris-Dauphine, du Conseil supérieur du Notariat et de sa Chambre parisienne [1]. Une première tentative d’exploration en profondeur des bases notariales, a priori exhaustives en matière de transactions immobilières, qui suscitera probablement d’autres vocations tant le champ d’investigations est étendu. Le sujet n’intéresse pas seulement les professionnels du secteur, naturellement curieux de comprendre comment s’articulent les fondamentaux de leur marché. Comment se construit l’alchimie des préférences géographiques de telle catégorie socio-professionnelle d’acheteurs, de son choix entre habitat individuel ou collectif ? Quel est le profil d’âge des acheteurs et des vendeurs de tels ou tels biens ? Comment se bâtit la hiérarchie des prix à l’intérieur d’une zone urbaine ? Cette hiérarchie est-elle stable dans le temps et commune à toutes les zones étudiées ? Voilà quelques unes des pistes qu’aborde l’étude, qui relève des évolutions différentes dans la configuration des zones retenues, notamment en termes d’attractivité du centre-ville : à Toulouse, Montpellier, Nice, Bordeaux et Aix-Marseille, la population du centre se densifie. Partout ailleurs, elle stagne (Lyon) ou régresse, comme à Paris ou à Lille. Mais dans ce dernier cas, l’appétence est depuis longtemps marquée, par les catégories socio-professionnelles supérieures, pour les ilots résidentiels bien identifiés de la périphérie.

Pour la dynamique des prix, dont l’étude ne pouvait faire abstraction, plusieurs grilles ont été établies selon la localisation des biens (par rapport au centre-ville), leur date de construction et leur taille. On retiendra ici ce qui nous a paru le plus marquant : sur la période considérée (1998-2010), caractérisée par une hausse générale et importante des prix, ce sont partout les immeubles de « bas de gamme » qui ont le plus progressé. Ce phénomène mériterait sans doute une analyse spécifique, par comparaison avec les observations faites sur les marchés boursiers : quand toutes les actions se mettent à monter vigoureusement et que les sociétés antérieurement délaissées, pour des motifs pertinents, se mettent à « rattraper leur retard », c’est-à-dire à atteindre des prix injustifiables à l’aune de l’analyse financière, alors le marché est mûr pour un violent retournement. Au vu de ce qu’il est advenu, ces dernières années, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où les prix ont chuté jusqu’à 40 ou 50%, il est permis de se demander si le contexte français ne prédispose pas au même scénario, la baisse du pouvoir d’achat constituant un catalyseur supplémentaire pour la déprime.

L’approche hédonique

On laissera à chacun le soin d’éplucher, dans cette étude, ceux des chapitres qui le concernent plus particulièrement. Pour se concentrer sur celui intitulé « Choix individuels et sociologiques dans la détermination de la valeur immobilière », qui a le mérite d’intégrer une « approche hédonique de l’évaluation des biens ». Cette démarche a pour origine l’article fondateur de S. Rozen, en 1974, dans le Journal of Political Economy, dont la thèse a été formalisée depuis les années 1980 aux Etats-Unis et, chez nous, appliquée à l’immobilier depuis une quinzaine d’années. L’approche hédonique repose sur le constat que les biens ne sont pas acquis pour eux-mêmes, mais exclusivement pour les différentes caractéristiques qui les définissent. Ainsi, un logement n’est pas seulement un toit où abriter sa famille, ses impedimenta et ses chats. C’est un lieu de vie recherché pour son confort (sa taille, son exposition, sa cuisine XL, ses salles de bains hollywoodiennes, etc.), le caractère pratique de sa localisation (près des commerces, du bureau, du métro, de l’école…) ou son environnement prestigieux (avenue huppée, proximité d’un parc, campagne désertique…). Le choix sera également influencé par les caractéristiques sociologiques du vendeur, celles… du voisinage, et d’autres raisons encore, répertoriées ou non identifiées. Le tout sous la contrainte du prix, bien entendu.

Les esprits chagrins décideront que les théoriciens de l’hédonisme ont réinventé la roue, en posant que l’acte d’achat est conditionné à la satisfaction attendue du bien acquis – ce qui est le fondement immémorial de l’échange. La critique n’est pas complètement infondée, avouons-le. Mais cette démarche hédoniste permet de qualifier les motivations de l’acheteur sans les limiter à celles qui paraissent couler de source. Une voiture, par exemple, a pour fonction le transport individuel. Une fois prises en compte les attentes d’espace, de confort, de vélocité et de sécurité, quatre ou cinq modèles seraient logiquement suffisants pour combler le marché. Nous savons tous que tel n’est pas le cas et que le besoin de reconnaissance de l’individu se focalise sur des paramètres parfaitement ésotériques, mais identifiables. Avec quelquefois des erreurs de casting, si l’on en croit les embarras actuels de certaines firmes automobiles… En matière d’immeubles, ce constat s’impose : il n’existe pas deux biens parfaitement identiques. Tout au plus peut-on les estimer grossièrement comparables à l’aune des données objectives qu’il est possible de collationner. La résidence continue de représenter une attente très forte des ménages français, qui, du reste, y consacrent une part significative de leurs revenus. Les travaux de Cusin-Julliard-Simon sont ainsi un encouragement à poursuivre une approche hédonique plus élaborée de la valeur immobilière. Qui permette d’intégrer des paramètres aujourd’hui non quantifiés et pourtant décisifs dans l’acte d’achat. Il y a du pain sur la planche...

[1« Les marchés immobiliers des métropoles françaises », François Cusin et Claire Julliard, avec Arnaud Simon. Editions Publi.not 2012, 49 €. Contact : [email protected]

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