La croissance introuvable

La croissance introuvable

En dépit des critiques et des exhortations à la quête de « compétitivité », notre pays affiche une performance économique positive sur le trimestre dernier. Alors que la Zone euro est en récession. Mais partout dans le monde, ni la politique budgétaire, ni la politique monétaire, ne parviennent à restaurer la croissance.

Les statistiques automnales se révèlent plutôt fraiches. La Zone euro confirme son entrée en récession (deux trimestres consécutifs de progression négative du PIB), sans que l’information revête une grande importance : il s’agit de performances passées, même si leurs conséquences ne sont pas totalement digérées. La France surprend les observateurs en affichant une progression, certes modeste (0,2%), mais qui efface le recul du trimestre précédent (-0,1% après corrections). Notre pays ne pourra donc être en récession avant avril prochain, dans le pire des cas, quand bien même son activité serait-elle déclinante jusqu’alors. Il n’est pas douteux que le Gouvernement apprécie le répit qui lui est ainsi accordé. Car les performances de l’économie française sont moins catastrophiques que celles des autres Etats-membres –exceptée l’Allemagne, qui subit malgré tout un fort ralentissement. Les pays du Sud achèveront l’année dans le rouge foncé et même les Pays-Bas, membres du club élitiste des Nordiques vertueux, régresseront d’environ 1,6%.

Pourtant, en dépit de sa bonne résistance à une conjoncture déprimée, Paris subit des pressions plus ou moins amicales pour hâter le retour de sa compétitivité. Apparemment, l’adoption des préconisations galloises ne suffit pas à calmer l’inquiétude des créanciers et des partenaires européens. Dont l’Allemagne, qui aurait commis son staff d’économistes pour auditer la situation française et proposer les mesures de redressement appropriées. Bien entendu, Berlin a dément une aussi grossière ingérence dans les affaires de son voisin. Mais d’autres ne se privent pas de délivrer leur ordonnance. Comme Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Schröder, dans les colonnes du quotidien suisse Le Temps. Il rappelle les décisions douloureuses de l’« Agenda 2010 » qu’adopta son Chancelier : « Quel parti de gauche a envie de couper dans les retraites ou de libéraliser le marché du travail ? Mais si rien d’autre ne fonctionne, il n’est plus possible de reculer » avance-t-il, pour expliquer que « la France doit bouger, pour le bien de la nation française et celui de l’Europe ». Même si « ce n’est pas drôle » d’avoir à promouvoir la compétitivité, « mais on ne gouverne pas pour rigoler ». Entre le FMI, la Banque centrale européenne et quelques personnalités éminentes, même si elles ne sont plus aux affaires, le message est du même tonneau : la France devra « libéraliser » son marché du travail. Renoncer à la rigidité de ses contrats et sans doute à son salaire minimum. Et rogner sur les retraites, comme l’ont déjà fait bon nombre d’Etats-membres. Sur ce terrain, le « pacte » sera probablement plus difficile à entériner. Tel est en tout cas le sentiment de Fischer. Pour l’hebdomadaire The Economist, le verdict est encore plus sévère : « tant à faire et si peu de temps » titre le dossier consacré à notre pays. Qui pronostique une méchante crise politique et économique l’année prochaine, avec la jubilation vacharde que mettent les Anglais à dézinguer tout ce qui est français.

L’espoir dans la politique monétaire

En attendant, les pays confrontés à un « choc de compétitivité » en subissent les conséquences peu encourageantes. Par une récession qui s’éternise et des manifestations populaires qui enflent. Chypre vient maintenant de rejoindre les candidats au sauvetage, bien qu’elle soit la première blanchisserie des trafiquants russes et à ce titre grassement pourvue de liquidités sulfureuses. La mangeoire des fonds d’intervention européens étant déjà bien entourée, et pas vraiment riche, les regards ne vont pas manquer de se tourner à nouveau vers la Banque centrale européenne. Pour l’inciter à imiter ses grandes homologues. Déjà, au Japon, la perspective du renouvellement politique laisse augurer un nouvel assouplissement monétaire de la part de l’Institut d’émission, avec un objectif d’inflation qui pourrait être compris entre 2% et 3%. En vue d’encourager la baisse du yen et de favoriser les exportations, par recours direct à la planche à billets. En cette matière, la constante générosité de la BoJ (Bank of Japan) n’a guère obtenu des résultats probants jusqu’à ce jour. Mais les milieux financiers ont décidé, cette fois-ci, d’y croire.

Aux Etats-Unis, le nouveau plan de relance monétaire (QE3) soulève désormais davantage de scepticisme que d’enthousiasme. Tous les économistes admettent que les plans précédents ont au moins empêché les Etats-Unis de subir une récession en « double creux ». Mais au prix de moyens considérables. La nouvelle vague de quantitative easing, que la Fed voudrait mener sans limite de temps ni de montant, pourrait ne produire que des effets homéopathiques sur la croissance. L’un des membres du board de la Banque centrale américaine estime même que cette stratégie est inefficace et dangereuse et que personne ne maîtrise réellement la situation. Un avis que Jim Rogers, le célèbre investisseur autrefois associé à George Soros, exprime en des termes plus crus : « Ben Bernanke n’a jamais eu raison à propos de quoi que ce soit depuis qu’il est arrivé à Washington (…) Il ne comprend rien du tout aux monnaies. Il ne comprend pas la finance. Il ne comprend pas l’économie… ». Le propos est sans doute un tantinet provocateur, mais pas nécessairement dénué de fondement. En tout cas, à la décharge de Ben Bernanke, reconnaissons que tous les banquiers centraux méritent la même suspicion. Laquelle sera bientôt levée, ou confirmée, lorsque leurs politiques monétaires téméraires auront produit leurs effets…

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