Les mutations de l'économi

Les mutations de l’économie mènent-elles à la croissance ?

Les mutations de l’économie française lui permettront-elles de sortir de la crise ? Entre discours alarmistes sur le déclin industriel et postures optimistes du gouvernement, il s’avère difficile de saisir la nature et l’ampleur des changements de l’économie. Décryptage croisé d’experts et d’acteurs lors du « Printemps de l’économie ». Pour eux, rien n’est encore joué…

« Depuis deux ans, il y a déjà une petite partie de l’économie qui est repartie ». Tel est le constat de Philippe Mutricy, directeur de l’évaluation des études et de la prospective chez Bpifrance, banque publique d’investissement, lors d’une conférence sur « Les nouveaux visages de l’industrie et de l’innovation en France », qui s’est tenue le 15 avril, au Conservatoire des arts et métiers, à Paris.

A quoi ressemblent ces « nouveaux visages », quelles sont les conditions de leur croissance, et constituent-ils une voie viable pour le futur ? Autant de questions auxquelles ont tenté de répondre plusieurs intervenants. Pour Philippe Mutricy, le regain d’activité qu’il constate repose pour l’essentiel sur des entreprises de taille intermédiaires tournées vers le service aux autres entreprises. Autre caractéristique de cette activité constatée : chez Bpifrance, les aides à l’innovation ont augmenté de 40%, pour dépasser le milliard d’euros. Et ces évolutions sont le signe d’« une profonde transformation de l’économie française », pour Philippe Mutricy. La transformation, c’est celle du numérique, qui bouleverse les modèles économiques des entreprises et les chaînes de valeurs établies dans les secteurs d’activité, estime le banquier. Exemple : dans le domaine de l’hôtellerie-restauration, des entreprises du numérique se sont imposées, comme booking.com, le site de réservation en ligne. La démarche qui a court-circuité la chaîne de valeur existante, menace l’existence même d’acteurs traditionnels du marché, les agences de voyage. Autre exemple : Uber, service de mise en relation entre clients et conducteurs qui réalisent des services de transport, a rendu brusquement caduque la centrale de réservation de taxis. Bâtiment, industrie…à plus ou moins long terme, « tous les secteurs sont concernés », insiste Philippe Mutricy, évoquant l’impact que pourrait avoir l’usage des imprimantes 3D sur l’organisation industrielle et les chaînes de valeur de nombreux secteurs.

A un pas de la diffusion des usages ?

Pour comprendre la mutation en cours dans l’économie française, Vincent Lorphelin, fondateur de Venture Patents, spécialiste des brevets d’usage, et auteur, avec 85 entrepreneurs, de l’ouvrage « Le rebond économique de la France » ( 2012), applique le filtre d’analyse de la révolution industrielle. Chronologiquement, celle-ci se décompose en deux temps, une révolution technologique suivie d’une révolution des usages : « Exemple : l’électricité et le téléphone », illustre Vincent Lorphelin. Pour lui, l’économie française vit précisément la transition entre ces deux phases. « Aujourd’hui, il y a un dynamisme entrepreneurial qui est palpable. Cette multiplication des startups qui inventent de nouveaux usages, de nouvelles méthodes, est un signe avant-coureur d’un rebond économique. Cette effervescence portera ses fruits plusieurs années plus tard », estime-t-il. D’autres indicateurs vont dans ce sens, énumère Vincent Lorphelin : le palmarès Deloitte sur les entreprises qui connaissent les plus fortes croissances classe la France en deuxième place, derrière la Californie. A Las Vegas, au salon annuel mondial de l’électronique grand public (CES), début janvier, de nombreux produits français connectés ont été jugés très innovants par Wired, magazine tendance du secteur.

Pas certain, en revanche, que cet enthousiasme éditorial américain soit pleinement partagé par les décideurs économiques et politiques français… Car ces derniers n’ont pas encore nécessairement saisi la nature de ces changements radicaux, d’après Nicolas Colin, Inspecteur des finances en disponibilité et cofondateur de TheFamily, accélérateur de startups. Pour lui, « on est encore très loin du compte, il y a encore beaucoup de confusion ». Ainsi, l’Hexagone, pays d’ingénieurs, aurait tendance à confondre innovation et technologie. Autre réalité - économique- liée à cette mutation et peu appréhendée, d’après Nicolas Colin : alors que dans l’économie du XXe siècle, une entreprise suit une évolution plus ou moins linéaire, le développement est exponentiel pour les entreprises dite « numérisées ». Concrètement, c’est la petite start-up à l’air de rien - Uber, en 2009- ,qui, cinq ans plus tard, est valorisée à hauteur de 40 milliards d’euros.

Mille blocages culturels et une nécessité

Résultat de ces incompréhensions, « ni grandes entreprises ni pouvoirs publics ne sont encore montés à bord » de la grande transition, estime Nicolas Colin. Pour lui, les grandes entreprises en restent encore au stade de l’expérimentation. Quant aux décideurs politiques, « il manque une compréhension du numérique comme principe qui va tout changer(…) Il devrait irriguer toute la politique sociale et économique du gouvernement », insiste Nicolas Colin. Exemple : la protection sociale. A ce sujet, il y a un travail « énorme » à réaliser, estime le fondateur de TheFamily, qui compare l’ampleur de la tâche à celle effectué par le CNR, Conseil national de la résistance après la seconde guerre mondiale : le dispositif tel qu’il est conçu aujourd’hui protège les salariés, et non les nouvelles formes d’emploi qui sont en train de se déployer. Autre blocage à lever, les réglementations. Celle des taxis a été élaborée, alors qu’il n’y avait ni GPS, ni smartphones, rappelle Nicolas Colin pour qui il faudrait « apprendre à légiférer de façon plus dynamique ».

Les idées ne manquent pas, chez les intervenants au débat, sur les freins à lever pour permettre cette mutation. Au niveau du financement, « quand on invente sans cesse, le crédit bancaire est inopérant. Il faut développer le capital investissement », estime Nicolas Colin. Vincent Lorphelin, lui, propose de doter le fonds souverain des brevets, fondé en décembre dernier, de 10 milliards d’euros, au lieu des 100 millions qui lui sont dévolus. Quant à Philippe Mutricy, il évoque la possibilité d’alléger l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices et la simplification de l’accès aux marchés publics pour les entreprises innovantes… Mais attention, met en garde Philippe Mutricy, « le pire serait de se dire que la croissance repart et que tout va bien aller. C’est le moment où jamais de poursuivre les réformes structurelles pour améliorer la compétitivité économique française et faire baisser le chômage ». Reste que les économistes estiment que leurs outils traditionnels ne leur permettent pas de mesurer précisément la portée et l’impact de cette mutation sur l’économie. Olivier Passet, directeur des synthèses économiques, du groupe Xerfi, institut d’études économiques, prévient « cette révolution n’a pas forcement les effets attendus sur la croissance (…) Ce mouvement de transformation déstabilise autant qu’il fait germer de nouveaux potentiels ».

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