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Philippe Pradal : "Le niveau d’exigence de sens au travail est plus élevé"

Pour l’adjoint au maire de Nice délégué aux ressources humaines, les difficultés de recrutement viennent d’une conjonction d’effets, dont une exigence de sens accrue.

Comment peut-on expliquer les difficultés de recrutement depuis quelques mois ?

- Il y a la conjonction d’effets conjoncturels et d’effets structurels. Il y a un effet conjoncturel lié à la crise sanitaire et au confinement. Dans certains secteurs, comme le tourisme et l’hôtellerie-restauration, un certain nombre de personnes ont découvert qu’il y avait d’autres façons de vivre et d’autres rythmes de travail. Et, pardonnez-moi d’être un peu choquant mais je pense aussi que le système très efficace d’indemnisation des salariés qui ne travaillaient pas, par le dispositif de l’activité partielle, a peut-être mis l’idée dans la tête d’un certain nombre de personnes qu’on pouvait disposer d’un revenu sans travail. Ce qui complique le retour au travail.
Il y a aussi un effet structurel : l’évolution de la société fait que le niveau d’exigence de sens au travail est probablement plus élevé que ce qu’on a pu connaître dans les précédentes décennies. Je pense que jusque dans les années 80, avoir un travail portait du sens en lui-même. Aujourd’hui, les collaborateurs sont en recherche de sens en dehors du fait d’avoir du travail. Il faut que les missions qui leur sont confiées aient du sens.
Dans les professions de santé, il y a du sens au moment où les gens s’engagent et puis cinq ans ou dix ans après, ils sont en attente d’autre chose et donc ce qui justifiait leur engagement et parfois leur surinvestissement disparaît. Et puis, sur certains métiers très précis, il n’y a pas forcément adéquation entre les formations et les besoins exprimées par les entreprises.

Comment remédier à cela ?

Le secteur de l’hôtellerie-restauration est l’un des plus touchés par les difficultés de recrutement. ©S.G


- Il n’y a pas une solution unique. Sur le sujet de la formation, il faut s’attaquer en profondeur à la notion de formation tout au long de la vie et à la notion d’alternance. Est-ce que c’est normal que l’on ne fréquente l’université qu’entre 18 et 23 ans ? Est-ce qu’on n’a pas vocation, quand on travaille, à retourner à l’école, à l’université ? Il y a de nouveaux
métiers qui émergent. Et pour quelqu’un qui a commencé à travailler il y a 15 ans, quel que soit le secteur, dans l’industrie ou dans les services, les outils qu’il utilise aujourd’hui n’existaient pas quand il a été formé dans le cadre de sa formation initiale.
Donc il a besoin de réapprendre et on ne réapprend pas tout sur le tas. Il y a là un sujet important : un salarié doit avoir la certitude d’avoir d’un parcours professionnel et ce parcours doit être émaillé de périodes de formation lourde et de formations plus légères. Pour les jeunes, avant leur entrée dans le marché du travail, je crois qu’il faut avoir une politique volontariste de valorisation de tous les métiers de l’apprentissage, y compris et surtout pour des métiers industriels et des métiers agricoles.

Comment peut-on redonner du sens au travail ?

- Il faut que l’entreprise ou la collectivité qui donne du travail soit elle-même convaincue que le travail qu’elle donne a un sens. Je ne dis pas que toutes les entreprises doivent devenir des entreprises à missions mais la raison d’être d’une entreprise doit être identifiée par l’entreprise elle-même et communiquée à ses salariés. Voilà ce que nous sommes et voilà ce que nous voulons être.
Cela permet ensuite une identification ou un rejet. Au niveau individuel, il faut comprendre que dans une semaine de travail il va peut-être y avoir 10% de mon temps qui va être sur des missions qui ont vraiment du sens ou une utilité. Et ces 10 % il va falloir les trouver et les valoriser. Trouvons collectivement du sens à notre travail individuel. Tout travail a un sens mais est-ce que tout le monde sait l’utilité de ce qu’il fait ?
Si on veut recruter aujourd’hui, le fait d’offrir des postes avec du sens est une donnée qu’on ne peut pas négliger parce qu’elle est à mon sens durable.

Que penser de la réduction du temps de travail, avec comme en Espagne l’évocation d’une semaine de quatre jours ?

- J’ai le sentiment qu’on a peut-être trop dit, avec le discours autour du temps de travail, que travailler n’était qu’une contrainte, que cela nous privait de beaucoup de choses. Mais le travail peut aussi nous apporter de bonnes choses. Cela peut donner l’occasion à beaucoup de personnes d’avoir une vie sociale qu’elles n’auraient pas si elles étaient seules chez elles.
Le sujet de dire que le temps de non-travail est plus bénéfique que le temps de travail ne
s’applique pas dans les mêmes termes pour toutes les personnes. Et je vais même plus loin : cela me paraît être un outil qui crée une différence sociale. Si je suis issu d’un milieu social favorisé, si j’ai accès aux équipements culturels et sportifs, effectivement je vais bien occuper mon temps non travaillé. Mais si je n’ai pas tout cela, mon temps non travaillé va-t-il vraiment m’apporter plus ?

Les entreprises et les collectivités ont-elles les moyens de payer plus leurs salariés et leurs agents ?

- Est-ce qu’aujourd’hui les entreprises ont les moyens de revaloriser les salaires ? Je laisserai les chefs d’entreprise l’apprécier, même si j’ai mon opinion. Est-ce qu’une collectivité peut revaloriser les salaires ? Une collectivité n’a pas de ressources propres importantes autres que l’impôt. Une ville, une métropole, ce sont des entreprises de main d’œuvre. Nous n’avons pas les moyens d’augmenter les rémunérations puisque nous n’avons pas le complément de recettes qui permettrait de le faire.
En revanche, des pistes peuvent être explorées et des économistes y ont travaillé, notamment sur le fait d’augmenter le salaire net sans forcément augmenter le coût du travail. Je crois qu’il y a une vraie réflexion à entamer sur les charges salariales et sur le mode de financement de la couverture sociale. Il y a des solutions mais c’est un vrai débat politique qui devra être abordé dans les années qui viennent. Est-ce qu’on peut considérer que le monde d’après-Covid peut fonctionner avec strictement le même dispositif que celui inventé par le Conseil national de la résistance ? Mais cela ne veut pas dire qu’il faut tout casser.

En quoi ces difficultés de recrutement changent la façon de travailler des services de ressources humaines ?

- Je le résumerai de façon très simple : cela implique d’aller chercher les candidats au lieu d’attendre qu’ils viennent. Le ‘sourcing’ des candidats est devenu aujourd’hui le travail des ressources humaines. Auparavant, quand une collectivité comme la Métropole ou comme la Ville de Nice mettait une offre d’emploi, il y avait des centaines de gens qui se présentaient, dont des gens surdiplômés. Aujourd’hui, parce que nous avons des
demandes sur des métiers de plus en plus
spécifiques et sur des métiers en tension et parce qu’il y a des métiers que nous ne savons pas couvrir en interne, il faut qu’on aille chercher les candidats.
Et pour cela, tout employeur doit faire preuve d’attractivité et doit donc construire un discours d’attractivité, qui doit ensuite être une pratique. Une grande collectivité est attrayante par la taille des effectifs et par la variété des métiers.
La Ville de Nice et la Métropole, c’est près de 460 métiers. On a la possibilité d’offrir des évolutions de carrière et des promotions réelles. La fonction publique territoriale est aujourd’hui encore un endroit où il peut y avoir une forme d’ascenseur social qui fonctionne.

Propos recueillis
par Sébastien GUINÉ

Photo de Une : Philippe Pradal dans son bureau pour l’interview DR S.G

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