USA : Reprise en ombre

USA : Reprise en ombre chinoise

En dépit des rigueurs de la météo, le printemps semble s’approcher. En Europe, l’activité s’est révélée, en 2011, un peu moins poussive qu’anticipé. Même constat aux Etats-Unis, où plusieurs hirondelles statistiques sont récemment apparues. Certes, en année électorale, les statisticiens sont soumis à des hallucinations plus puissantes qu’en temps ordinaire. La pression est d’autant plus forte que les références historiques sont sans appel : aucun président américain n’a jamais été réélu avec un taux de chômage supérieur à 7,2%. Et on en est aujourd’hui à 8,3%, malgré l’amélioration très sensible des derniers mois. Encore qu’il faille tempérer l’enthousiasme devant cette embellie : les employés à tiers temps sont comptabilisés comme n’étant plus à la recherche d’un emploi et les chômeurs de longue durée sont purement et simplement rayés des listes. Autant dire que les informations qui résultent de ce brouet de chiffres ne donnent pas nécessairement une image très sincère du marché du travail… Mais ce qui réjouit le cœur des Yankees, ce sont les succès de leurs fleurons industriels. L’automobile, en premier lieu. La firme General Motors, au bord de la faillite en 2008, a réalisé une restructuration spectaculaire, bien aidée en cela par l’apport de… 50 milliards de dollars de capitaux fédéraux (en prêts et en fonds propres). Sur l’exercice 2011, GM a retrouvé sa place de premier producteur mondial (9,03 millions de véhicules) : 150 milliards de dollars de chiffre d’affaires et environ 8 milliards de profits. Les analystes estiment que la performance est largement imputable à la clientèle chinoise (2,5 millions de ventes), mais le marché américain s’est lui-même vigoureusement redressé. Grâce aux facilités de financement, dont certains analystes estiment qu’elles pourraient générer le même bug que les prêts « subprime » à l’immobilier.

Bref, c’est le même mécanisme pousse-au-crime du crédit généreux qui a convaincu les Américains de céder à leur appétence incorrigible pour une nouvelle bagnole, et non l’amélioration de leurs revenus : le PIB n’a augmenté que de 1,7% en 2011. C’est mieux que l’Europe, convenons-en, mais trop peu pour bichonner les salaires et amortir les nouvelles dettes. Même si l’on observe un phénomène encourageant : le retour sur le sol américain d’entreprises auparavant délocalisées, séduites par le prix attrayant du gaz naturel dont la production s’est fortement accrue (avec de nouvelles techniques d’exploitation pétrolière et le traitement efficace des schistes). Enfin, le secteur aéronautique est aux anges. Pas vraiment sur le terrain militaire, où les avions de combat perdent des marchés en même temps que leur prix s’envole. Mais Boeing vient de confirmer la plus grosse commande que la firme ait jamais enregistrée : 230 appareils civils pour une compagnie low cost indonésienne. Soit un marché de plus de 22 milliards de dollars. Autant de facteurs qui crédibilisent les prévisions officielles de croissance pour l’année en cours (2,7% espérés). « Toutes choses égales par ailleurs », bien entendu, selon la formule des économistes. C’est-à-dire sous réserve qu’aucun grain de sable ne vienne contrarier la tendance en cours. Mieux vaut donc croiser les doigts en observant les multiples motifs, d’ordre économique ou géopolitique, qui peuvent venir contrarier ces attentes.

Le dollar marginalisé

La principale raison qui laisse planer des doutes légitimes sur le redressement américain, c’est la stratégie adoptée par le pays. Ou plutôt, le maintien en l’état des mêmes leviers de gouvernance que ceux utilisés lorsque les States pouvaient encore prétendre à l’imperium mondial. La diplomatie de l’Oncle Sam continue de privilégier l’intimidation et le recours aux armes, qu’il s’agisse de contrats commerciaux ou de l’utilisation de sa monnaie. On a souvent relevé dans ces colonnes l’importance que revêt, pour les Etats-Unis, l’usage intensif du dollar dans les transactions internationales. Les besoins qui en résultent conduisent la FED américaine à émettre considérablement plus de monnaie que ne le justifient les besoins nationaux. Une partie de ces torrents de dollars revient au pays et permet ainsi de financer aisément la dette américaine (publique et privée). Tant que cet « excédent » de dollars sera indispensable au commerce, les USA pourront continuer de s’endetter au-delà du raisonnable.

De ce fait, toute tentative souveraine de libeller les grands contrats dans une autre monnaie que le dollar se solde immanquablement par le recours à la massue (exemples de l’Iraq, de la Libye et, en gestation, de l’Iran, dont la Bourse du pétrole sera opérationnelle en mars). Or, à ce jour, de plus en plus de transactions se négocient dans d’autres devises, notamment sous l’impulsion de la Chine qui encourage ses industriels à traiter dans leur propre devise. Mécaniquement, le potentiel d’endettement des Etats-Unis se réduit à grands pas. Le diagnostic récent de Ben Bernanke, président de la FED, devrait réfrigérer les Américains : selon lui, l’activité ne peut repartir sans une reprise de l’immobilier, qui offre un gage (virtuel) à la consommation à crédit des autochtones (70% du PIB). Bernanke aspire à ce que les choses redeviennent « comme avant », mais le contexte n’est plus du tout le même. Avec la réduction inéluctable de l’épargne étrangère, il sera obligé de lancer une nouvelle salve de quantitative easing. Ainsi, comme le pronostique de nouveau le LEAP (Laboratoire européen d’anticipation politique ) dans sa livraison de février , le billet vert pourrait cette année prendre une méchante pilée.

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