Charles Prats : "Big (...)

Charles Prats : "Big data et intelligence artificielle ciblent les contrôles"

Le magistrat, invité par les Petites Affiches, a présenté les conséquences prévisibles de la future loi contre la fraude fiscale sur les métiers du droit et du chiffre.

Charles Prats est vice-président chargé des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Paris.


Il a été magistrat au sein de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du budget de 2008 à 2012, chargé de la coordination de la lutte contre les fraudes fiscales, douanières, sociales et le travail illégal.
Il est par ailleurs membre du conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS).

La fraude fiscale est estimée à 100 milliards. Ce chiffre vous paraît-il crédible ?

En tout cas, il a été avancé par le syndicat Solidaires Finances Publiques. Le SIRASCO (service de renseignement criminel de la direction centrale de la police judiciaire) avait repris le chiffre antérieur de 60 à 80 milliards. Bien sûr, cela reste une estimation, dont on peut discuter les critères méthodologiques, mais nous sommes sur un stock de fraude important. Cela dit, la principale fraude porte sur la TVA. La Commission Européenne l’a estimée à plus de trente milliards il y a quelques années. Ce chiffre,
qui était de 25,6 milliards en 2014, a ensuite été ramené à 14 milliards : j’y vois les effets du réchauffement climatique sur la fonte de la fraude…

Cette fraude représente une fois et demie ce que les Français paient comme impôt sur le revenu. C’est tout de même un constat d’échec non ?

Bien sûr, ce volume est énorme. Mais les nouvelles technologies- big data, intelligence artificielle - permettent aussi à l’administration d’être plus performante, et cela depuis longtemps. Par exemple, la Belgique était encore au début des années 2000 la plaque tournante européenne de la fraude à la TVA. Elle s’est équipée d’un logiciel de détection précoce, qui signale en une quinzaine de jours les transactions suspectes. Le résultat, c’est qu’en quelques années seulement, avec le travail conjoint de l’administration fiscale et de la Police Judiciaire, ce pays a éradiqué 90% de ces fraudes. Si l’on applique, avec le même taux de réussite, ce système à la France, ce sont certainement plus de 10 milliards d’euros que l’on éviterait de perdre…

Et on en prend le chemin ?

Je sais que l’on y pense, qu’il y a des réunions à Bercy. La France est enfin en train de bouger à ce sujet.
Le même syndicat des Finances Publiques affirme que, statistiquement, une entreprise a une chance de se faire contrôler sur la TVA une fois tous les… 130 ans.
Arithmétiquement, cela s’explique par le nombre de contrôleurs par rapport au nombre d’entreprises.
Mais cette vision est inexacte. Car le big data et l’intelligence artificielle permettent de cibler les contrôles, et de détecter les indices potentiels de fraude. Donc de concentrer les moyens humains sur les vrais enjeux.

Police fiscale, "name and shame" (publication du nom des fraudeurs), plaider coupable… Ces mesures prévues dans la loi sont-elles efficaces selon vous ?

Mais voyons, la police fiscale existe depuis presque dix ans ! On n’a pas attendu cette loi pour qu’elle puisse se livrer à des écoutes téléphoniques, des perquisitions... Ce qui est nouveau dans le projet de loi, c’est que ce service ne sera plus seulement placé comme jusqu’à présent à la police judiciaire au sein du Ministère de l’Intérieur, mais qu’il y aura une seconde police fiscale basée au sein de Bercy.

Avec la nouvelle loi, que risquent les spécialistes de la fiscalité s’ils sont impliqués dans une fraude ?

La loi prévoit une sanction administrative des conseils fiscaux, qu’ils soient avocats, experts comptables, sociétés de placement, banquiers etc. Le Sénat a voté des garde-fous, notamment que la sanction du contribuable soit définitive et qu’il ait épuisé toutes les voies de recours avant que le conseil puisse lui-même être sanctionné. Malheureusement, l’Assemblée nationale a voté une version du texte qui pose beaucoup de questions en termes de respect du droit de la défense et de contrariété éventuelle de décisions.

Les instances professionnelles, comme le CNB, ne sont pas montées au créneau ?

Si, mais elles se sont mobilisées trop tardivement. Leurs interventions n’ont pas été prises suffisamment en compte.

Quelles précautions doivent donc prendre les conseillers fiscaux pour ne pas devenir, malgré eux, les complices d’une fraude ?

Attention aux nouvelles sanctions administratives qui vont se superposer à celles déjà existantes ! En matière fiscale, le conseil va avoir intérêt à solliciter de plus en plus les rescrits fiscaux, et aussi à étudier avec son assureur dans quelles mesures ces nouveaux risques sont couverts.

Il y aura un impact sur les cotisations ?

C’est probable. Je vous rappelle qu’un avocat a été récemment condamné par la Cour d’appel de Paris à payer solidairement avec son client une dizaine de millions d’euros, au titre de la solidarité avec les sommes fraudées par son client…

Ces sanctions concernent-elles aussi les cabinets de conseil qui sont situés à l’étranger ?

Avec la nouvelle loi, la complicité pénale sera appliquée, c’est sûr. Et pour l’amende administrative française aussi.

Propos recueillis par
Jean-Michel CHEVALIER

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