Les paris hasardeux (...)

Les paris hasardeux du FMI

Il n’est pas douteux que l’austérité généralisée en Europe porte l’empreinte du FMI. Pas douteux non plus que l’adoption du nouveau traité européen renforce cette stratégie, que les incantations ne suffiront pas à valider. Car selon la Directrice du Fonds, la croissance reviendra en Europe grâce à l’abaissement des salaires. Les miracles de la « ri-lance »…

Les décodeurs ordinaires ne suffisent plus à décrypter le sens éventuel des politiques suivies par la plupart des grands pays, ainsi nommés ceux qui affichent un poids économique significatif. A cause de la contradiction quasi-systématique entre les objectifs annoncés et les moyens adoptés. Notre pays n’échappe pas au confusionnisme ambiant, qui témoigne de l’authentique désarroi des autorités, lesquelles ont perdu le pouvoir de conduire toute politique conforme aux attentes d’une majorité de leur population. Se profilent ainsi les scénarios prophétisés par « Le Meilleur des mondes » ou « 1984 », qui passèrent en leur temps pour d’aimables élucubrations. Un bon exemple du brouet intellectuel dominant nous est offert par la récente adoption, sous une majorité écrasante, du fameux traité européen « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UE », un texte vigoureusement combattu par la majorité en place lorsqu’il fut conçu sous le précédent quinquennat. Sur la base d’arguments toujours pertinents : la « règle d’or » budgétaire équivaut bien à la castration des décideurs politiques nationaux, qui transfèrent leur virilité souveraine à une sorte de « Big Brother » sans visage et sans personnalité démocratique. Comme si les élus, ayant définitivement démontré leur incapacité à gérer proprement leur maison (ce qui n’est pas totalement faux, reconnaissons-le), avaient abdiqué leurs responsabilités au profit d’une machinerie technocratique et indéboulonnable, conditionnée au dogme exclusif de la sacralisation du marché. Avec pour corollaire la soumission à la loi du plus fort.

On comprend mal, dans ce contexte, que notre ministre du Redressement productif réclame de « ne plus avoir Bruxelles sur le dos » quand l’Etat envisage de subventionner telle ou telle de ses industries, et que la Commission retoque le plus souvent ces velléités comme étant attentatoires à la concurrence (ce qui est effectivement le cas). Alors que dans le même temps, bien des pays non-Européens soutiennent des pans entiers de leur activité sans avoir à subir le veto bruxellois. Notre ministre découvre « la déloyauté du commerce mondial » : mieux vaut tard que jamais.

Double langage

On a souvent fait le parallèle de l’évolution de notre système avec celui de feu le bloc soviétique : les difficultés nouvelles y étaient imputées au fait que l’on n’était « pas allé assez loin dans le communisme ». Et on rajoutait une louche d’aberrations supplémentaires. Chaque fois que la globalisation révèle des distorsions majeures – et elles sont légion -, on invoque la nécessité d’aller plus loin dans la déréglementation et la libéralisation des marchés. Le chemin parcouru dans ce sens est à ce point considérable qu’il apparaît désormais impossible aux autorités politiques d’imposer des règles propres à prévenir le risque systémique : que ce soit sur le marché financier ou celui des matières premières, les opérateurs contournent leurs obligations ou les refusent purement et simplement. Il est donc compréhensible que certains économistes prédisent la survenance certaine d’un nouveau choc majeur.

Mais nul ne peut s’étonner que la confusion et la contradiction soient devenus monnaie courante chez les décisionnaires : l’exemple vient de haut. Statutairement dévolu au soutien des Etats en difficulté, le FMI a été, et continue d’être présent sur tous les théâtres de crise. Et ses prescriptions, qui vont au-delà du simple conseil, sont invariablement bâties sur le même module : la libéralisation au pas de charge du pays en cause et des « réformes structurelles » qui ignorent superbement les conséquences sociales (souvent désastreuses) qui peuvent en résulter. Comme avec Attila, l’herbe met du temps à repousser là où le FMI est passé. En dépit des multiples critiques qu’il a essuyées, le Fonds n’a rien modifié de sa praxis. Mais il bénéfice désormais des talents remarquables de madame Lagarde pour cette acrobatie rhétorique appelée double langage.

Dans une interview récente au Figaro, la Directrice du Fonds revient sur les bienfaits attendus de l’austérité imposée à l’Europe : « Croissance et austérité ne sont pas incompatibles » affirme-t-elle, reprenant la thématique de sa « ri-lance », le mariage de la rigueur et de la relance dont l’invention lui vaut une place de choix dans les annales du ministère des Finances français. La méthode ? Elle commence par la rigueur. Et le journaliste de poser une question pertinente : « Ce que tente le FMI depuis trois ans à l’échelle de la zone euro est sans précédent : faire baisser les prix dans un pays pour compenser le fait qu’il ne puisse dévaluer. Sait-on si c’est réalisable ? ». La réponse est éclairante : « On l’espère, bien sûr. Un des signes avant-coureur du succès de cette approche est la reprise des exportations. En faisant baisser les prix des facteurs de production, en particulier le prix du facteur travail, on espère rendre le pays plus compétitif et plus intéressant pour les investisseurs étrangers. » Et pour renforcer la pertinence de la démarche, elle ajoute « On le voit déjà un peu au Portugal, en Espagne et on commence à le voir un peu en Grèce. » Nous, on y voit surtout la « baisse du prix du facteur travail », le chômage de masse et… la récession. Invoquer la nécessité impérieuse de la croissance, comme Christine Lagarde l’a fait en ouverture de l’Assemblée générale du Fonds, et promouvoir pour ce faire la baisse des salaires, c’est soit travailler du chapeau, soit se moquer du monde. Soit les deux.

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