Malaise chez l'Oncle (...)

Malaise chez l’Oncle Sam

Les péripéties de la campagne électorale américaine mettent provisoirement en sourdine les difficultés majeures du pays. Mais dès la fin novembre, la réalité reprendra le dessus. Il pourrait alors apparaître que les embarras européens, bien réels, ne sont que roupie de sansonnet face à ceux qui affligent l’Oncle Sam.

La presse française accorde en ce moment une large place aux Etats-Unis. En phase avec le show permanent que constitue la campagne présidentielle. Les commentateurs glosent beaucoup sur les performances respectives des challengers lors des débats télévisés. Pourtant, ces confrontations ne sont pas vraiment éclairantes sur le contenu des programmes défendus. Il s’agit plutôt de professions de foi qui sont pour l’électeur autant d’auberges espagnoles ; un assaut de généralités consensuelles qui renforcent les préjugés établis plus qu’ils n’ouvrent le champ à des horizons nouveaux ; un brouet de bienpensance popote qui vise à ratisser la sympathie le plus largement possible. En période de prospérité, le caractère téléphoné de ces empoignades suscite une indulgence distraite ; en situation de crise, il en va tout autrement : les Etats-Unis n’échappent pas au marasme ambiant et il est peu probable que la situation se rétablisse sous le seul effet de plaidoiries incantatoires.

L’état des lieux n’est guère encourageant. Le mandat d’Obama s’achève sur un sentiment de déception de la classe moyenne et des plus défavorisés : le nouveau paradigme promis n’a pas respecté son rendez-vous. Et les grandes avancées formelles de la législature restent à l’état de promesses : notamment le Dodd-Frank Act, ce texte monumental (par la taille) visant à réglementer le secteur financier, dont la mise en application est entravée par le forcing constant de cohortes d’avocats et l’inertie du secteur bancaire – quand ce n’est pas le refus pur et simple de se soumettre aux normes requises. Chez l’Oncle Sam, le pouvoir est toujours aux mains de la « Chambre de commerce » - la coalition du gros business et de Wall Street -, que le Président soit blanc ou black, républicain ou démocrate. Un contexte qui ne prédispose pas le pays à une « rupture », mais plutôt à la continuité dans la continuité. Si les candidats ont conscience de l’intensité de la crise qui frappe le pays (et le reste du monde), rien dans leurs discours respectifs ne le laisse vraiment transparaître. Dès après le scrutin, le vainqueur pourra donc oublier toutes ses billevesées de campagne pour affronter le terrain des réalités : le mandat à venir promet d’être sportif pour le malheureux élu…

L’exaspération prospère

Les attentes des Américains ne diffèrent pas de celles des autres peuples : ils escomptent le retour de la croissance et des emplois qui l’accompagnent. Sur la seule année 2009, la plus douloureuse après le début de la crise, le pays a perdu plus de 6 millions d’emplois. Et le taux de chômage demeure historiquement élevé, en dépit de l’embellie récemment révélée par les statistiques officielles, dont la sincérité est largement mise en doute. Il en résulte que la pression sur les ménages s’accentue : les saisies immobilières ont repris un rythme inquiétant, après l’accalmie qui a suivi la révélation de pratiques illégales de la part des banques créancières. A l’heure actuelle, environ 46 millions d’Américains bénéficient du programme des « food stamps », une aide financière accordée aux plus démunis. Les candidats à l’investiture misent tous deux sur la croissance : pour Obama, elle accompagnera nécessairement la politique qu’il a suivie et qu’il entend poursuivre ; pour son challenger, il convient de réindustrialiser le pays. Comment ? En renvoyant la Chine dans ses 22 : avec l’instauration de droits de douane salés sur les produits asiatiques, le made in USA deviendra compétitif sans qu’il soit nécessaire de contraindre les employés américains à des salaires pékinois. Tout cela est fort aimable, sauf qu’une telle démarche serait résolument attentatoire aux accords de l’OMC, et qu’il faudrait une taxation d’enfer pour décider les firmes off shore à se relocaliser, ou encourager les créations sur le territoire.

D’autant que les financements bancaires sont aussi parcimonieux aux States qu’ils ne le sont en Europe : les banques yankees demeurent très fragiles, comme le reconnaît du bout des lèvres Ben Bernanke, le patron de la FED, qui pourtant les inonde de liquidités. Au point de susciter quelques frayeurs au sein de son board : le troisième robinet de quantitative easing (QE3) vient d’être ouvert, et il ne prévoit aucune limite au rachat de créances sur le marché. Voilà qui facilitera assurément le financement de l’Etat fédéral, pour peu que les factions opposées se mettent d’accord sur la poursuite de l’endettement. Tel n’est pas le cas pour les très nombreuses municipalités en cessation de paiements (là où la loi l’autorise), ou à tout le moins contraintes à des coupes budgétaires dramatiques qui conduisent à des licenciements massifs (enseignants, policiers, pompiers…). Il en résulte des tensions sociales que les médias européens ignorent pudiquement, mais que le dernier bulletin du Laboratoire européen d’anticipation politique (leap2020.eu) pointe comme annonciatrices de désordres majeurs, avec le glissement des manifestations, plus ou moins agressives, vers de véritables émeutes. Avec en toile fond la montée en puissance des gangs (facilitée par la réduction des effectifs policiers), et la prolifération des armes individuelles. Désormais, le « rêve américain » s’est évanoui : la concentration des fortunes s’accélère, le revenu moyen stagne depuis des lustres et le chômage s’envole. Le doute s’est installé quant à l’efficacité de la planche à billets comme moyen de relance : un doute légitime, au vu des résultats de QE1 et QE2… Avec l’exaspération croissante des classes moyennes américaines, les anticipations du Leap pourraient bien se révéler prophétiques.

deconnecte