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Sous surveillance financière renforcée, Monaco doit agir vite

La Principauté a été placée fin juin sur « liste grise » par le GAFI. Explications et enjeux d’une telle décision par l’expert Sébastien Prat, co-fondateur et partner de Phoenix Consulting Monaco..


Qu’est-ce que la « liste grise » du GAFI ?

©Phoenix Consulting Monaco

- Sébastien Prat : Tous les pays sont évalués par un organisme appelé GAFI (Groupe d’Action Financière Internationale) quant à leur niveau de conformité vis-à-vis des standards relatifs à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme établis par ce même organisme. Lorsque le GAFI met un pays sur sa liste grise, liste officielle des juridictions soumises à une surveillance renforcée, cela signifie que ce pays doit encore améliorer ses lois et pratiques pour mieux contrôler et prévenir ces activités illégales.

Cela signifie quoi, pour un État, d’être placé sur liste grise ?

- Sébastien Prat : Un tel placement entraîne donc souvent des réformes législatives et réglementaires, des pressions diplomatiques et des implications économiques, tout en affectant la réputation du pays sur la scène internationale. Il existe des impacts à court terme pour le secteur public et l’une des premières conséquences majeures de cette classification est la pression accrue immédiatement exercée sur les autorités de la Principauté de Monaco par le GAFI.
Cette pression se manifeste à travers plusieurs aspects clés, mettant en évidence la nécessité d’un renforcement du cadre juridique et d’un durcissement des contrôles et des sanctions. Cela peut se traduire par l’adoption de nouveaux textes de loi visant à combler les lacunes identifiées, encourager la mise en place de dispositions plus rigoureuses, élargir le champ d’application des infractions ou encore harmoniser le paysage juridique avec les normes internationales.
Cela passe également par le recrutement intensif au sein des autorités compétentes, et plus particulièrement dans les cellules de Renseignement Financier, afin de renforcer la capacité des autorités à accompagner les professionnels assujettis dans l’application de leurs obligations via des publications et des formations fréquentes, d’augmenter le nombre de contrôles et d’améliorer la coopération avec les différentes institutions nationales et internationales.

Et quels sont les impacts à court terme pour le secteur privé ?

- Sébastien Prat : L’augmentation des coûts liés à la conformité, que Phoenix Consulting estime en moyenne à 30%, représente la préoccupation majeure pour les professionnels assujettis, et ce bien avant le passage en liste grise. Cette hausse des coûts se manifeste de plusieurs manières : il y a les coûts opérationnels, avec notamment les mises à jour majeures des politiques et procédures internes qui impliquent des investissements en ressources humaines, l’investissement dans des solutions technologiques et un coût réputationnel.
En effet, dans le contexte d’un passage en liste grise, les coûts associés à la préservation de la réputation d’un établissement professionnel peuvent être considérables (campagnes de communication, sensibilisations internes, mise en place de rapports extra-financiers, etc.).
Une détérioration de la réputation peut entraîner des répercussions financières importantes pour une entreprise. Et il y a également le coût des transactions et opérations.
Enfin, les entreprises des pays placés sur liste grise sont confrontées à un autre problème : les transactions deviennent plus complexes lorsqu’elles traitent avec des partenaires étrangers, entraînant une possible altération des relations internationales. Les opérations locales deviennent également plus chronophages et coûteuses en raison de contrôles plus rigoureux sur les clients et les opérations ce qui, en retour, allonge les délais et augmente les coûts associés aux transactions. Certaines entreprises situées dans des pays non listés choisissent même de refuser de collaborer avec des entités basées dans des pays en liste grise.

Quelle est la marche à suivre pour sortir de cette liste ? À quelle échéance ?

- Sébastien Prat : Depuis le rapport d’évaluation publié par le Comité de MONEYVAL en janvier 2023, Monaco a réussi à améliorer son dispositif sur différents points, avec notamment la création d’une nouvelle structure combinant la cellule de renseignement financier et l’autorité de contrôle (AMSF), le renforcement de son approche en matière de détection et d’enquête sur le financement du terrorisme, la mise en œuvre des sanctions financières ciblées et la supervision basée sur le risque des organismes à but non lucratif. D’autres actions sont encore à mettre en œuvre. Un calendrier a été arrêté, il s’étend sur un an et demi (jusqu’en janvier 2026), avec deux points d’étape intermédiaires prévus en mai 2025 et septembre 2025. Il est structuré en six points clés : 1. renforcer la compréhension des risques de blanchiment de fraude fiscale commise à l’étranger ; 2. accroitre les demandes auprès de pays tiers visant à identifier et à saisir à l’étranger les actifs financiers d’origine criminelle ; 3. veiller à l’imposition de sanctions pour non-respect des règles relatives au blanchiment et au financement du terrorisme, ainsi que des exigences déclaratives de base et de bénéficiaires effectifs ; 4. augmenter les moyens de sa cellule de renseignement financier, ainsi que la qualité et la rapidité de traitement des déclarations de soupçon ; 5. améliorer l’efficacité du système judiciaire, notamment par l’accroissement du nombre de magistrats et par l’imposition de sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées en matière de blanchiment d’argent ; 6. développer les saisies d’actifs soupçonnés de provenir d’activités criminelles. La Principauté de Monaco s’est engagée à poursuivre sa collaboration avec le GAFI et MONEYVAL pour renforcer son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Propos recueillis
par Sébastien Guiné

« La liste grise n’est pas une bonne nouvelle »

©DR

Au cours d’une récente réunion organisée dans le but de « faire un point de situation » après la décision du GAFI, le Conseiller de gouvernement-ministre des Finances et de l’Économie, Pierre-André Chiappori, a reconnu qu’il ne s’agissait évidemment pas d’une « bonne nouvelle ». « Mais le GAFI a néanmoins souligné les progrès significatifs effectués par la Principauté. Il faut donc que l’ensemble des acteurs de la place impliqués dans ce mouvement poursuivent leurs efforts afin que la sortie de cette liste grise soit actée à l’occasion de la session plénière du GAFI de juin 2026 » a-t-il ajouté, cité dans un communiqué de presse du gouvernement princier diffusé le 12 juillet. M. Chiappori a « tenu à rétablir les faits sur une notion reprise parfois dans les médias selon laquelle ‘Monaco serait épinglé pour des affaires de blanchiment de fraude fiscale à l’étranger’ : « C’est absolument faux. Ce qui nous est demandé est d’affiner notre cartographie des risques liés au blanchiment de fraude fiscale à l’étranger, en nous dotant d’une méthodologie plus précise  », selon le communiqué.

Les pays placés sur « liste grise » par le GAFI (juin 2024)
Afrique du Sud, Bulgarie, Burkina Faso, Cameroun, Croatie, Haïti, Kenya, Mali
Monaco, Mozambique, Namibie, Nigeria, Philippines, République démocratique du Congo, Sénégal, Soudan du Sud, Syrie, Tanzanie, Venezuela, Vietnam, Yemen

Photo de Une illustration DR

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