UE : un sommet en basse

UE : un sommet en basse altitude

Pour son avant-dernière session de l’année, le Conseil européen a renouvelé un exercice qui lui est familier : remettre à plus tard des accords impossibles le jour même. Et improbable dans l’avenir. On ne sait s’il faut le déplorer ou s’en réjouir. Car pour être opposées, les stratégies en lice sont aussi critiquables l’une que l’autre.

Voici enfin une bonne nouvelle : « Nous sommes tout près, tout près » de la sortie de crise de la Zone euro. Tel était en tout cas l’avis autorisé du Chef de l’Etat peu avant la tenue du récent sommet de Bruxelles, supposé caler les derniers dispositifs communautaires avant le dernier Conseil européen de l’année, en décembre. L’UE affiche au moins une ambition consensuelle : qu’une stratégie soit enfin arrêtée pour ramener le calme sur les marchés. Afin que les membres les plus fragiles se soient plus étranglés par les créanciers, et que les autres échappent au danger d’être à leur tour pris dans la nasse, avec comme perspective plausible l’implosion pure et simple de la maison commune. Le discours officiel est à tout le moins harmonisé : les risques d’éclatement de la Zone seraient désormais écartés. Car tous les Etats ont accepté une discipline budgétaire d’airain, censée garantir aux prêteurs que les engagements souverains seront tenus, avec le MES (Mécanisme européen de stabilité) comme cagnotte de premier secours en cas d’accident inopiné, et la BCE comme pompier de dernier recours en cas d’incendie généralisé (grâce au rachat à livre ouvert des créances nationales).

Bref, des remparts réputés infranchissables ayant été dessinés, il est permis de se demander en quoi les sommets européens seraient désormais décisifs pour acter de la sortie de crise. Apparemment, la difficulté provient du fait que si les Etats-membres sont unanimes quant aux objectifs à atteindre, ils divergent singulièrement quant aux moyens à adopter. La perception de la solidarité n’est guère différente en Europe de celle qui prévaut dans chacune des nations : ceux qui la financent veulent avoir la main sur les règles du jeu. De la même façon que les contribuables nationaux ont une idée assez précise des obligations à imposer à ceux de leurs concitoyens qui profitent des transferts sociaux, de même les pays opulents ont des exigences de tutelle sur ceux de leurs homologues qui sont fâchés avec l’orthodoxie de la gestion publique. On retrouve ainsi, dans le quotidien de la vie communautaire, les scénarios bien connus de la dynamique de groupe, avec la lutte des meneurs et leurs suiveurs, la consécration des leaders et des boucs émissaires.

Sauver les apparences

Pourtant, au sein de la Zone euro, les dirigeants aspirent massivement à une intégration plus poussée. Contrairement, soit dit en passant, aux populations concernées, qui manifestent une tiédeur non dissimulée à l’égard d’un modèle fédéral. Ce qui divise les gouvernements dans leur ambition commune, c’est que les uns voient dans l’intégration le moyen efficace de se défausser sur la collectivité de leurs problèmes insolubles, les autres l’opportunité de piloter les destinées des canards boiteux, pour les soumettre à la discipline appropriée. Il en est ainsi des dissensions théâtralisées du « couple franco-allemand » actuel : tous deux ont validé l’option du désendettement public au forceps, une stratégie dont la pertinence ne saute pas aux yeux. D’abord parce qu’elle va inévitablement constituer un frein à la croissance, alors que cette dernière est la pierre angulaire du business plan de tous les Etats ; ensuite parce qu’il est clair que la masse globale des dettes communautaires n’est raisonnablement pas amortissable, et qu’il faudra poursuivre dans la voie de l’abandon de créances débuté avec la Grèce (et non achevé). Sur des prémisses aussi bancales, il faut donc s’attendre à l’émergence de nouvelles péripéties désagréables.

Ainsi, France et Allemagne divergent sur l’itinéraire à suivre, ce qui témoigne à la fois de différences culturelles et… de préoccupations de politique interne. La Chancelière va droit au but en privilégiant l’union budgétaire, celle qui « confèrerait à l’Europe des droits réels d’intervention sur les budgets nationaux ». C’est en effet clairement le moyen de s’assurer contre les nouveaux dérapages d’Etats impécunieux : privés des derniers arguments de leur souveraineté, ces derniers seraient contraints par la technocratie bruxelloise d’adopter des mesures budgétaires peu compatibles avec la popularité de leur gouvernement… Un scénario qui dépasserait, en intensité, celui que connaissent aujourd’hui les Grecs. Pour le Président français, la formalisation de l’union bancaire est une priorité : fédéré sous la haute supervision de la BCE, le système financier européen offrirait ainsi une stature hautement sécurisée. Pour les marchés, d’abord, dès lors que toute banque en difficulté pourrait être rapidement recapitalisée par les organismes ad hoc, ou reprise par une autre selon le diagnostic du superviseur ; pour les déposants, ensuite, en rendant superflues les migrations intra-européennes de capitaux (que subissent par exemple la Grèce et l’Espagne) ; pour les Etats, enfin, qui pourraient ainsi compter sur l’appétence des banques pour leurs émissions d’emprunt. Là se situe le pilier de la « confiance » que le Président français considère comme le catalyseur de la reprise : favoriser le redémarrage du crédit, tant public que privé, en dotant le système bancaire d’un label de solvabilité institutionnelle. Si tout le monde accepte de croire que les bilans des banques sont solides, alors la cavalerie peut perdurer un moment. Dans sa grande générosité, la BCE a permis aux opposants du dernier sommet de sauver la face, en arguant des contraintes techniques. Oui, l’union bancaire verra le jour. Mais pas tout de suite comme le souhaitait la France. Ce qui laissera à l’Allemagne le temps d’en aménager le contenu. Ou de la torpiller. L’UE est ainsi « tout près, tout près » d’être une famille unie.

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