Europe : dernier sommet

Europe : dernier sommet (de l’année)

L’Europe vient de boucler son énième sommet – dernier de l’année. Un sommet présenté comme décisif et supposé avoir définitivement conforté la crédibilité de la signature des Etats-membres. Grâce à un engagement solennel à la discipline, que devrait sanctifier un nouveau traité. Apparemment, les créanciers ne sont pas impressionnés…

Si elle était un titre coté, l’Europe aurait eu cette année la faveur des analystes, pour avoir sans relâche volé de sommet en sommet. Le dernier en date avait fait l’objet d’un surcroît de dramatisation, bien que les précédents n’en eussent pas été épargnés : c’était la der des ders de la dernière chance de préserver l’Union. Ainsi que la réputation de ses dirigeants, continûment mise en cause par la férocité des marchés et des agences de notation. Du reste, l’activisme communautaire a été, et demeure, motivé par une préoccupation exclusive : les sources de financement. Comment assurer à chacun de ses membres un accès à l’emprunt dans des conditions acceptables, sans nuire aux intérêts de tous les autres. L’exercice n’est pas aisé, on s’en doute, dès lors que le club européen comporte quelques abonnés mal en point et à ce titre candidats à un élan massif de solidarité – tant de la part de leurs propres contribuables que de ceux des Etats voisins. Car le choix stratégique de l’Union a été clairement affirmé : l’objectif prioritaire est de ne pas se mettre à dos les créanciers. Le cas grec (un haircut de 50% sur la dette détenue par les banques) doit rester une exception absolue ; il faut convaincre les marchés financiers que tous les autres Etats honoreront l’intégralité de leurs engagements, sans restructuration ni rééchelonnement, quand bien même le service de la dette supposerait-il d’étriller le pékin. Pour ce faire, il faut évidemment que la discipline conséquente soit crédible. Et donc que chaque gouvernement soit soumis à une autorité qui le prive du droit souverain de trop dépenser, sous la houlette d’une juridiction disposant de prérogatives préventives et d’un pouvoir de sanction en cas de manquement. Tel est le sens général des accords conclus (mais non formalisés) le 9 décembre dernier : soumettre les projets de budget au visa technicien de la Commission, avant même de graver la « règle d’or » dans le marbre de la loi fondamentale nationale et d’accepter ultérieurement une totale intégration budgétaire. L’objectif sous-jacent est de soumettre les décisions financières des Etats-membres à la curatelle de la Commission, les gouvernements ayant jusqu’à maintenant fait preuve d’une légèreté frisant la déraison. Même Dame Merkel, dont on connaît l’orthodoxie rigoureuse, a admis que tous s’étaient montrés insoucieux de la discipline posée par les traités fondateurs. Il conviendrait donc de procéder solennellement à un rappel au règlement.

Promesses de parcimonie

Ainsi donc, à l’exception d’Albion qui a confirmé sa perfidie en refusant tout net d’abandonner une once supplémentaire de souveraineté, les Etats-membres ont adhéré à un nouveau cahier des charges, applicable avant même d’être formalisé en traité – dont la ratification unanime soulève d’ores et déjà quelques incertitudes. Tant sur le plan juridique (selon les particularités nationales en matière de délégation et les possibles réticences du Parlement européen) que sur le plan technique. Car l’accord s’est fait sur une idée de principe, mais les modalités restent à préciser : comme chacun sait, les détails constituent un obstacle diabolique. Il appartiendra donc aux Etats de sacraliser en droit interne la règle d’or : le déficit dit structurel (hors effets de la conjoncture) ne pourra excéder 0.5% du PIB, sous la surveillance de la Commission et le glaive de la Cour de justice européenne. Tout dérapage obligera l’Etat concerné à une révision budgétaire ; tout dépassement des critères autorisés par Maastricht déclenchera des sanctions automatiques (sauf décision contraire de la majorité qualifiée, étalonnée à 85%). Le fil conducteur reste ici le même : une nation dans la gêne subit une pénalisation… financière, ce qui ne paraît pas le moyen le plus sûr de la ramener en bonne santé. Mais les ambulances sont confirmées : le FESF, dont l’existence a été prorogée jusqu’à la mi-2013 sans que sa puissance de feu ait été améliorée ; le Mécanisme européen d’intervention (MES), dont le fonctionnement demeure nébuleux et la dotation hypothétique, pourrait être assorti d’une « procédure d’urgence » activable sous majorité qualifiée, pour peu que la BCE estime sérieuses les menaces sur la zone euro. Au global, la force de frappe cumulée de ces deux instruments pourrait représenter 500 milliards d’euros, ce qui n’est en soi pas négligeable. Mais d’ici à la ratification du traité ad hoc (prévue en mars prochain), les seuls besoins de l’Italie et de l’Espagne représentent déjà 300 milliards… L’Allemagne refusant le « bazooka » de la monétisation des dettes souveraines, la BCE a été pudiquement confinée à son indépendance lors du sommet. Mais elle avait, la veille, signifié son soutien massif à l’industrie bancaire, par l’abaissement de ses taux directeurs et la promesse de concours gargantuesques. On peut ainsi en conclure que si la Banque centrale refuse la monétisation directe, elle l’accepte sous forme indirecte : en refinançant (au taux de 1%) les banques qui achètent le papier souverain sur la base de rendements beaucoup plus élevés (plus de 7% pour l’Italie, par exemple). Il faut que la situation soit réellement préoccupante, sinon inextricable, pour que Berlin et la BCE aient accepté de cautionner des arrangements aussi bancals. Même les marchés sont déroutés : ils ne savent plus s’ils ont intérêt ou non à faire semblant de croire aux promesses de bonnes intentions qui résultent de ce sommet.

Crédit photo : Photos Libres

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