Europe et téléthon

Europe et téléthon

Marathon spectaculaire des autorités européennes, dans un sommet « de la dernière » chance puissamment dramatisé. Dont les résultats ont réjoui les participants et enthousiasmé les marchés financiers. L’euphorie ambiante doit toutefois être tempérée d’un retour à la lucidité : le principe des accords reste critiquable et sa mise en musique sera compliquée.

Le dernier sommet européen donne l’impression d’avoir été organisé sur le modèle du téléthon. Certes, la dramatisation préalable à l’événement, repoussé de quelques jours afin que tout le monde fût prêt à mobiliser ses moyens, ne résulte pas d’une intention délibérée. Mais enfin, depuis plus de trois ans que dure la crise, il est permis de s’étonner que nos éminences aient eu besoin d’un délai de grâce de 72 heures pour affiner leur copie salvatrice. Ainsi donc, après avoir réuni le conseil de famille au complet pour traiter de la contribution publique (éventuelle) au soutien des banques, seules les grandes personnes (les usagers de l’euro) ont eu à disséquer le cas grec et celui, plus général, de la solidarité à l’égard des membres dans le besoin. Un véritable marathon qui s’est poursuivi fort tard dans la nuit, attestant de la difficulté réelle à générer un consensus vendable à l’opinion et aux marchés financiers, tout en étant supportable par les Etats commanditaires. On ne sait ce qu’en pensent les populations ; les contours des accords conclus sont encore tellement flous que le pékin ne peut que s’extasier, avec la presse unanime, du caractère « historique » des dispositions adoptées.

Les marchés, eux, ont immédiatement cédé à l’enthousiasme, sur la base d’un réflexe purement pavlovien : la partie peut se poursuivre sur les Bourses, grâce aux promesses de dons et aux promesses de promesses (certains gros donateurs pressentis étaient absents du raout), autant de pieuses intentions que l’Europe a réunies dans son cabas. On se réjouit avec les éditorialistes et les financiers de ce qui est perçu comme un succès remarquable. Toutefois, avant que le contenu technique desdits accords ne soit divulgué (ou ne le soit pas : nos élus ne se sentent plus tenus de révéler la teneur des deals qu’ils concluent en notre nom – c’est trop compliqué pour nous), avant donc que les modalités ne soient arrêtées (ce qui n’est pas la partie la plus facile), demeurent quelques interrogations lancinantes quant à la crédibilité des orientations retenues. 1. La Grèce est-elle désormais à l’abri du défaut ? 2. Les banques sont-elles désormais immunisées contre la faillite ? 3. Les Etats de l’Union sont-ils désormais prémunis contre la contagion ?

Fuite en avant

La réunion de « la dernière chance » ayant constitué une épreuve éreintante pour les participants, on ne saurait reprocher à ces derniers d’en présenter les résultats sous l’éclairage favorable. Pour la Grèce, les institutions privées créditrices – et elles seules – ont fini par accepter un « haircut » de 50%. Ce qui réduit de 100 milliards d’euros (sur 360) le passif grec, en… 2020. Car le principe retenu consiste à échanger les obligations à échoir jusqu’à cette date par des titres d’une valeur nominale égale à la moitié des précédentes. Et garantis à hauteur de 30% par le FESF, dont il sera question plus loin. Bien. L’Union se réjouit ainsi par avance que la Grèce, à une échéance lointaine, ramène son endettement à… 120% du PIB, ratio jugé « soutenable » quand la norme maastrichtienne (économiquement cohérente) demeure fixée à 60% pour tous les autres : il doit y avoir une erreur quelque part. On ne peut en conséquence qu’emboîter le pas aux sceptiques qui anticipent le renouveau de la crise grecque dans un délai maximal de six mois : le pays est rongé par la dépression, la chienlit sociale, le massacre de ses ressources fiscales, et donc par une situation de trésorerie continument alarmante. Toute prévision de perfusion communautaire sera nécessairement démentie par les faits : le « plan » qui a été arrêté est une version moderne du tonneau des Danaïdes.

Pour les banques, calcul a été fait du besoin de capitaux propres résultant de l’abandon de créances sur la Grèce. Il faudrait à nouveau une centaine de milliards d’euros (selon la police), montant déclaré absorbable, aux dires des banques, sans recours à l’aide publique – qui a pourtant été actée, au cas où. Les besoins réels seraient beaucoup plus importants (selon les syndicats), mais il est à ce jour impossible de départager les avis concurrents, l’évaluation officielle étant faite « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en supposant que la situation n’empire pas. C’est là qu’intervient la troisième interrogation : la solidité des « pare-feux » édifiés pour éviter la contagion (et donc la protection de l’Irlande, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne – liste sujette à majoration). Le FESF, d’abord : porter sa puissance d’intervention à 1 000 milliards ne sera suffisant que si les besoins déjà identifiés ne s’accroissent pas. Et les moyens mis en œuvre relèvent des « leviers » de l’ingénierie financière la plus sportive : le « rehaussement » des emprunts des membres par la Communauté, c’est-à-dire des dérivés de caution. Et pour parfaire le dispositif, un fonds d’intervention complémentaire qui serait capitalisé par les pays émergents : si ces derniers acceptent, l’UE hypothèquera sa souveraineté. S’ils refusent, elle s’exposera au risque de banqueroute. Ne restera plus alors, dans l’urgence, que la « réforme institutionnelle » projetée (le fédéralisme budgétaire), reléguant la souveraineté populaire au rayon des curiosités. Dans la balance, les dangers pèsent plus lourd que les espoirs.

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