Mystères boursiers

Mystères boursiers

Maintenant que des logiciels sophistiqués se sont emparés de la cotation des valeurs boursières, il devient plutôt difficile d’expliquer les variations erratiques des marchés. Si la stratégie du trading robotisé est impénétrable, celle des autorités monétaires américaines n’est guère plus explicable.

La Bourse serait le baromètre irremplaçable du juste prix. Soit, acceptons-en l’augure. Mais il faut alors admettre que ce même juste prix subit la tyrannie d’une conjoncture sacrément capricieuse, qui délivre des informations contradictoires à la cadence d’un kalachnikov. La Bourse serait le haut-lieu de l’anticipation, ce sixième sens des financiers à ne pas confondre avec les informations d’initié. Là, on ne voudrait pas médire, mais les événements récents viennent infirmer la moindre disposition à l’anticipation. Le cas des élections italiennes est le plus flagrant : les sondages préliminaires laissaient supposer que les deux personnalités non-conventionnelles allaient obtenir des scores suffisants pour rendre épineuse la constitution d’un gouvernement. Eh bien, il aura fallu attendre les résultats, conformes aux prévisions, pour que les marchés décrochent – sensément sous la crainte d’un moratoire italien dans la cure d’austérité en cours. Et les risques conséquents sur la dette du pays, assez largement répartie dans les livres des grandes banques européennes (et de la BCE). Donc, des préoccupations légitimes. Pourtant, deux jours plus tard, les cours avaient retrouvé leur allant, alors que la situation à Rome n’avait pas évolué d’un pouce.

Faut-il comprendre que la chienlit politique italienne n’aura aucune incidence sur la poursuite de la purge initiée par Monti, qui lui a valu un rejet franc et massif des populations ? C’est apparemment ce que veut croire la sphère financière, en phase avec l’analyse toute prussienne de Barroso : « Doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électoralistes de court terme, ou en fonction de ce qu’il faut faire pour remettre l’Europe sur le chemin de la croissance soutenable ? Pour moi, la réponse est claire », déclare-t-il à la presse allemande – qui n’en pense pas moins. Sauf qu’il ne s’agit pas de « considérations électoralistes » mais de résultats d’un scrutin, ce qui n’est pas vraiment la même chose dans la langue démocratique commune aux Etats européens. Que la Commission suggère de s’asseoir sur le vote des Italiens, excédés par la bouffonnerie de leur classe politique au point de plébisciter un saltimbanque professionnel, voilà qui donne du grain à moudre aux eurosceptiques, historiques ou de conversion récente, qui dénoncent le technocratie arrogante de Bruxelles et ses prétentions à incarner un Big Brother omnipotent et omniscient. Tant les marchés que les aristos bruxellois ont probablement tort de considérer l’affaire italienne comme un épiphénomène sans conséquences. Nos voisins ne sont pas plus inconscients ni inconsistants que leurs homologues de la Zone, et leur vote témoigne d’autre chose que d’un « refus puéril d’admettre la réalité », comme le note le journal Die Welt, jamais à court d’une amabilité quand il s’agit d’épingler les pays du Sud.

Dollar : vers le suicide

Peu de temps auparavant, une information avait glacé les sangs des opérateurs boursiers. La publication des minutes de la dernière réunion de politique monétaire de la Banque fédérale américaine révélait des dissensions au sein du board : un nombre grandissant de gouverneurs seraient hostiles à la poursuite des opérations de quantitative easing à répétition, c’est-à-dire au recours forcené à la planche à billets. Et les analystes de se mettre à gamberger sur le retour des States à une politique monétaire plus orthodoxe, renonçant ainsi à la création continue d’énormes masses de liquidités bon marché. Les Boursiers étaient bien fondés à réagir avec anxiété à une telle perspective : Wall Street doit sa capitalisation généreuse aux trombes liquides déversées par la FED (il faut bien faire quelque chose de tout cet argent). Si la perfusion s’arrêtait, nul doute que le niveau général des cours rejoindrait des ratios plus en rapport avec les fondamentaux. Et l’épargne américaine, notamment celle des retraités, plongerait douloureusement, maintenant que les plus-values immobilières ont fondu et ne peuvent plus servir de contrepartie à de nouveaux emprunts. Les Etats-Unis étant champions du monde du recours au crédit, il importe, pour les particuliers, de pouvoir offrir quelques actifs en garantie. Si bien que la bonne tenue de Wall Street permet de ne pas trop brider la boulimie de la ménagère yankee, et ainsi de stimuler la croissance, même modeste, du PIB du pays. Ce pourquoi Bernanke, le patron de la FED, s’est empressé de rassurer ses ouailles à l’occasion de son intervention devant le Congrès : certes, une politique monétaire ultra-accommodante pourrait au final avoir des effets négatifs, notamment sur l’inflation. Mais à l’heure actuelle, ses bienfaits seraient très largement supérieurs aux risques : elle stimule la croissance et permet de réduire le chômage. C’est bien le principal objectif, non ?

Sans développer un esprit exagérément critique, il est permis de faire observer que la création monétaire en cause est réellement pharaonique, pour des effets plutôt rikiki sur l’activité. Il est donc permis de se demander ce qui se passera le jour où la FED décidera de reprendre, pour annulation, les montagnes d’argent dont elle perfuse le système. A moins que ce ne soit tout simplement illusoire et qu’à ce stade de la fuite en avant, tout retour en arrière soit raisonnablement impossible. On pencherait volontiers pour cette dernière hypothèse, conforme au jusqu’au-boutisme cabochard des Yankees : pour que leur mauvaise monnaie chasse les bonnes, ils sont prêts à réduire le dollar à de la roupie de sansonnet. Wall Street ferait bien de s’en inquiéter...

deconnecte