56 milliards à l'ombre

56 milliards à l’ombre

Ah, la comptabilité ! Voilà une discipline qui exige une grande rigueur. C’est que quantité d’intervenants ont un intérêt majeur à ce que les comptes soient réguliers et sincères, et donnent une image fidèle du résultat des opérations, ainsi que de la situation financière et patrimoniale de l’entité considérée. S’agissant d’une entreprise, une telle transparence intéresse les actionnaires et les salariés, les fournisseurs, les créanciers et… les services fiscaux. Tous ceux qui vivent sur la bête, en somme. Pas étonnant que les comptes fassent l’objet de procédures tatillonnes, de contrôles pointilleux et d’une certification obligatoire. Pas étonnant que l’audit soit une activité en progression plus rapide que le PIB. Mais malgré la mobilisation de cette artillerie lourde, il n’est pas possible de se prémunir avec certitude contre les approximations critiquables ou les erreurs manifestes. Qu’elles résultent d’une rouerie délibérée, ou de l’interprétation tendancieuse des normes réglementaires par les oulémas de l’ingénierie comptable, une secte qui gagne de plus en plus d’adeptes.

Il semble bien que les comptes publics n’échappent pas aux mêmes incertitudes. Qu’il s’agisse de bidouillages volontaires, comme en Grèce, dont Joëlle Kuntz, dans Le Temps, nous rappelle avec humour que la chienlit gestionnaire est une disposition génétique du pays, identifiée depuis son accession à l’indépendance en 1832. Voilà ce qu’il en coûte aux dirigeants européens d’être ignares en histoire hellène. Mais les autres Etats ne sont pas à l’abri de l’erreur factuelle, même ceux qui sont peu suspects d’avoir appris la compta dans un claque de quartier. Voyez par exemple l’Allemagne, qui cultive l’orthodoxie financière avec cette opiniâtreté scrogneugneu qui énerve tant ses voisins laxistes. Eh bien, un pointage de routine des comptes de Hypo Real Estate (HRE), la banque déconfite que l’Etat fédéral a nationalisée dans l’urgence pour la transformer en poubelle à toxines (autrement appelée bad bank), cet établissement, donc, serait plus riche (ou moins pauvre) qu’on ne le croyait. La différence s’élève à 56 milliards d’euros. Rien que ça. Une ligne d’emprunts qui aurait été saisie deux fois par un comptable trop zélé. L’énormité de la somme a déclenché un hoquet d’indignation dans l’opinion teutonne, bien qu’il s’agisse d’une heureuse nouvelle : elle réduit à due concurrence la dette officielle du pays. Mais le bug révèle une réalité dérangeante : plombé de 56 milliards de trop, le bilan de HRE n’a semblé incohérent ni à ses gestionnaires privés, ni à ses liquidateurs publics. Ce qui confère une note peu honorable à la crédibilité des élites. Tant au sein de la direction des grandes entreprises que parmi les représentants politiques, lesquels s’écharpent jusqu’au sang pour voter quelques malheureux milliards d’impôts supplémentaires, supposés restaurer l’éclat des signatures souveraines…

La recette du jour

Audit privé

Confronté à un endettement calamiteux, vous avez fait donation à vos enfants de votre patrimoine et des emprunts y afférant. Bien vu : la loi protège les mineurs impécunieux de l’exigence légitime des créanciers. Par sécurité, faites toutefois auditer la situation : si vous trouvez 56 milliards de dettes en moins, révoquez votre donation. Et votre commissaire aux comptes, par la même occasion.

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