A la table des Chefs

A la table des Chefs

Avec le nombre de réunions, symposiums, réceptions et sommets qui ont émaillé les années chahutées que l’on vient de traverser, il est aisé d’imaginer que les cuisines des résidences officielles n’ont cessé de vivre en alerte rouge. Oui, on veut parler ici du lieu où se concoctent les déjeuners et dîners dits « de travail » ou « officiels », informels ou protocolaires, qui ponctuent ou clôturent les discussions de marchands de tapis auxquelles nos dirigeants sont soumis. Dans ces moments de courtoisie conventionnelle, il convient que les commensaux fassent bonne figure et ne s’infligent pas la soupe à la grimace ; qu’ils respectent la vieille porcelaine et ne se jettent pas la vaisselle à la figure ; qu’ils apprécient le menu et ne voient pas imposés leurs plats détestés. L’usage commande de bien se tenir : les dames sont présentes. Et bien que la diplomatie du banquet ait chez nous sombré avec la IVème République, la table de l’Elysée demeure une référence sur le Guide Michelin des chefs d’Etat et de gouvernement, le symbole immémorial de la culture française selon Stendhal : le raffinement de la gastronomie et l’art de la conversation.

Quoi qu’il en soit, les Chefs de ces grandes maisons ont désormais coutume de tenir leur symposium depuis maintenant 35 ans. A Paris, cette année. C’est le club des « Chefs des Chefs », où l’on s’échange probablement les dernières informations sur les goûts et dégoûts des éminences, leurs petites manies dinatoires et leurs velléités de régime. On découvre par exemple ici que notre Président a horreur des cœurs d’artichauts, ce pourquoi sans doute il a choisi de vivre avec une twitteuse téméraire ; qu’Albert II apprécie les plaisirs de la table, comme en témoignent ses rondeurs princières ; qu’Obama exècre les betteraves pour des raisons jusqu’à ce jour inexpliquées. On y apprend aussi que la tradition du goûteur demeure vivace au Kremlin. Alors que pour le Président américain, les goûteurs ne sont présents que pour ses repas à l’étranger, témoignant ainsi de la paranoïa belliciste des Yankees. Poutine, au contraire, sait que ses ennemis les plus dangereux sont près de lui. Bien vu, Vladimir. Pour couronner cette approche de la sociologie politique par les dépenses de bouche, l’article cité plus haut est introduit par un cliché de Dame Merkel, mordant à belles dents dans ce qui semble être un hot dog prolétarien, prisonnier d’un pain tellement blanc qu’il vous donne la chair de poule. Voilà sans doute qui explique pourquoi les Vingt-Sept préfèrent se réunir à Paris qu’à Berlin : c’était pas la peine de chercher midi à quatorze heures.

La recette du jour

La diplomatie du goûteur

Vous êtes bientôt invité chez Belle-Maman, qui vous crédite depuis toujours d’une détestation non dissimulée. Pointez-vous chez elle avec votre goûteur. Ce n’est pas que vous craigniez le risque d’empoisonnement. Mais votre insolence mettra l’intéressée dans un état d’indisposition durable à votre égard, qui vous autorisera à squeezer ses dîners sans qu’il soit nécessaire de vous excuser.

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