Brut de mastaba, par (...)

Brut de mastaba, par Christo

Les artistes, dit-on, sont les témoins inspirés de leur époque. Leurs œuvres constitueraient des métaphores élégantes, ou répugnantes, des vertus ou des travers de la société. On veut bien le croire : nombre d’artistes contemporains nous proposent des œuvres objectivement consternantes, à ce titre représentatives des temps présents. Exemple : l’une des caractéristiques remarquables de notre société de consommation, c’est le soin apporté au packaging de produits par ailleurs médiocres, sinon pire. Depuis plus d’un demi-siècle, un artiste exploite avec succès ce que le père Hugo appelait "le fard sur la pêche". Vous l’avez reconnu : c’est Christo, spécialiste de l’emballage monumental. Jusqu’à ce jour, ses œuvres étaient éphémères : grâce au ciel, l’empaquetage du Pont Neuf, en polyester caca d’oie hépatique, ne dura que quinze jours. Voici maintenant que l’emballeur s’emballe, et prétend offrir à la postérité une œuvre durable : un mastaba gigantesque, qui serait planté en plein désert, au sud d’Abou Dabi.

Le monument serait édifié sur un cimetière complet de barils de brut, faisant de ce mastaba la nécropole allégorique du pharaon-pétrole. Bien vu : ce serait un gisement de revenus pour l’Emirat, lorsque l’huile précieuse aura rendu l’âme. Mais ce mode de construction est une vieille obsession de Christo : il envisageait déjà, pour protester contre l’érection du Mur de Berlin, de barrer la rue Visconti à Paris d’une palissade de barils. Le projet avorta : c’est bien connu, de Gaulle était hermétique à la mercatique artistique. Difficile d’appréhender le fil conducteur de l’inspiration de Christo, sinon sa fascination pour le gigantisme, à la fois attirant et monstrueux, que suscite la société industrielle. Laissons la parole à Marina Vaizey, née Stansky, célèbre critique d’art qui chroniqua longtemps au Financial Times et épousa un économiste baronnisé par la Reine Elisabeth. Elle écrit de Christo qu’il a «  appliqué les méthodes du capitalisme démocratique à la fabrication de l’art ». Pigé ? Les critiques d’art adorent enfiler les oxymores qui rendent leur verdict sibyllin. Au cas d’espèce, la sentence de Marina peut signifier que Christo est un industriel de l’épate artistique, ainsi nommée la discipline visant à esbroufer le plus grand nombre possible de pékins innocents. Mais ce n’est qu’une interprétation, bien sûr : les critiques sont ordinairement plus difficiles à comprendre que les artistes eux-mêmes…

La recette du jour

Allégorie au guano

Vous avez une âme d’artiste mais aucun talent particulier. Ce n’est pas grave. L’art contemporain sourit aux audacieux. Spécialisez-vous dans l’allégorie de bastringue. Construisez par exemple une copie du Palais-Bourbon en guano de sansonnet. Vous aurez ainsi exprimé une métaphore puissante de la fientisation de la démocratie.

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