Dura lex

Dura lex

La loi s’use si l’on ne s’en sert pas. Comme celle, jamais abrogée, du 26 brumaire an IX de la République (19 novembre 1800), qui interdisait aux femmes de s’habiller en homme, à moins que le travestissement ne fût justifié par une raison médicale – dûment avalisée par la Préfecture de police. Bonaparte n’était pas vraiment amateur de pantalonnades. Devenu Président du Conseil en 1892, Emile Loubet accorda une dérogation aux femmes qui montaient leurs chevaux au lieu de les transformer en lasagnes ; en 1909, Clemenceau étendit la libéralité à celles qui chevauchaient une bicyclette, puis son gouvernement fut renversé – sans que les historiens y aient vu une relation de cause à effet. Pourtant, la cause féministe est manifestement consubstantielle à l’instabilité politique. Car c’est le Gouvernement d’Alger qui accorda le droit de vote aux femmes (avril 1944), peu avant le retour triomphal du Grand Charles et la chute du Régime de Vichy. Si Pierre Laval avait répondu aux attentes des suffragettes, la face de la France en eût peut-être été changée. Allez donc savoir. On tremble à l’idée qu’un gouvernement ait un jour l’idée d’autoriser les femmes à épouser leurs voisines.

Ce préambule pour ramener à l’humilité les commentateurs français, qui ont fait les gorges chaudes d’une situation juridique invraisemblable dans l’Etat du Mississipi : voilà encore quelques jours, l’esclavage n’y était toujours pas aboli. Il aura donc fallu que Spielberg sorte son film-marathon à la gloire de Lincoln, inaugurant pour l’occasion un nouveau genre cinématographique (le péplum parlementaire, un brouet lourdingue de poncifs à la guimauve et à la gloire de la rouerie politique américaine), il aura donc fallu que Stephen se décarcasse pour exciter la curiosité d’un pékin, récemment devenu citoyen américain, à propos du 13ème amendement. Surprise : non seulement le Mississipi avait attendu 1995 pour voter la ratification du texte, mais cet Etat n’avait toujours pas accompli les formalités requises auprès des Archives fédérales. Si bien que voilà peu, l’esclavage y était encore formellement licite. L’affaire est désormais close : il est maintenant interdit aux femmes de couleur d’asservir leurs époux. Bien que ce soient elles qui portent le pantalon, comme partout ailleurs chez leurs homologues blanches de peau.

La recette du jour

Le bas et la loi

Vous avez été bluffé par le succès du Lincoln de Spielberg aux Etats-Unis, et ses conséquences sur l’esclavage au Mississipi. Réalisez un film sur le seul thème qui suscite une fierté consensuelle : la Révolution française. Vous révèlerez que la loi sur les sans-culotte n’a pas été abrogée. Vous pourrez ainsi laisser tomber votre haut-de-chausse et concurrencer les Femen. Sans risquer de vous faire embastiller.

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