Habilis fiscalis : (...)

Habilis fiscalis : la traque

L’homo habilis a officiellement disparu depuis 1,6 million d’années. Décidément, on ne voit pas le temps passer. Notre ancêtre était un petit gabarit plutôt mal nommé : il n’était pas très adroit et son vocabulaire ne dépassait pas quelques borborygmes. Il ignorait tout de la culture de la laitue et faute d’avoir mis au point une stratégie pour la chasse, il en était réduit à attendre que les animaux s’entretuassent pour boulotter les restes. Pas très ragoutant. Notre aïeul habilis n’était pas seulement ras-du-bonnet, c’était un charognard, ignorant des vertus de la cuisson des viandes contre la prolifération bactérienne. Il fallait qu’il eût les tripes solides. Sans vouloir critiquer la dynastie, on est bien content de ne l’avoir pas fréquenté : ce minus habens devait trimballer une odeur de sanglier et une haleine de furet. Ce qui met tout le monde mal à l’aise dans les repas de famille. Et fait jaser les voisins.

Contrairement aux allégations des anthropologues, l’habilis n’a pas complètement disparu. Il a assuré sa descendance dans la branche habilis fiscalis. Par une facétie de l’évolution qui a échappé au génie de Darwin, une ramification a survécu et s’est entièrement spécialisée dans la protection contre un prédateur bien plus redoutable que les grands fauves : le Trésor. Développant ainsi des dispositions remarquables dans l’habileté fiscale, une technique sophistiquée qui permet de mettre ses profits à l’abri de l’appétit de la DGI. Rien ne distingue cet habilis du sapiens ordinaire : il a sa prestance, s’habille chez Armani, se parfume chez YSL et fait griller à point son steak de mammouth. La seule différence, c’est qu’il distribue de très gros honoraires à ses conseillers fiscaux. Seulement voilà : son art n’est pas dépourvu de risques. Car l’administration concernée a tendu des filets doctrinaux autour de ce gibier malicieux. L’habileté est tolérée mais la fraude est prohibée : pour passer de l’une à l’autre, il suffit de pouvoir démontrer que le terrier anti-chasseurs a été construit dans le but exclusif d’éluder les flèches de l’impôt. La démonstration n’est pas aussi facile qu’il y paraît, même si les intentions fugitives sont manifestes. Mais il ne faut pas mésestimer les pisteurs du fisc, au prétexte qu’ils ont accepté un salaire modeste de fonctionnaire au lieu d’une rémunération flamboyante dans un cabinet d’audit. C’est ce que découvrent en ce moment les cadres et ex-cadres d’une société de portefeuille, vestige de la métallurgie autrefois prospère. Pour avoir forcé un tantinet sur la sophistication de leur habileté, leur ardoise promet d’être méchamment salée. Mieux vaut donc la sagesse du sapiens que la dextérité de l’habilis. Car le mieux est l’ennemi du bien.

La recette du jour

Habileté préhistorique

Vous venez de vous découvrir un ancêtre homo habilis. Ne paniquez pas : vous n’êtes pas seul dans ce cas. Au lieu de cacher honteusement votre ascendance, mettez à profit les atouts de votre filiation. Pour tout vêtement, portez votre fourrure naturelle ; pout toute nourriture, faites les poubelles. Gagnez beaucoup d’argent et ne déclarez rien : aucun agent du fisc ne vous visitera jamais. Vous avez l’air trop benêt pour frauder et vous sentez trop mauvais.

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