Haro sur la fraise

Haro sur la fraise

Vous avez mille fois raison : que serions-nous devenus, grands dieux, sans la mondialisation ? Autant d’avantages qui nous auraient échappé sans l’ouverture du grand marché planétaire, qui magnifie le principe sacré de la division internationale du travail et fait pleuvoir les bienfaits de la concurrence. Imaginez par exemple que vous ayez en charge le menu des cantines scolaires. Disons, en Allemagne. Un vrai casse-tête : vous confiez prudemment le job à un industriel de la restauration collective, qui va vous concocter de délicieux petits plats, respectant la martingale sanitaire des cinq fruits et légumes par jour, à des prix compatibles avec la parcimonie des familles. Ainsi, les mouflets auront droit à des tartelettes aux fraises, bien que la saison de ce fruit soit depuis longtemps achevée en Europe. Même en Espagne où il est cultivé dans des tubes à essais, ce qui le rend délicieusement insipide. La fraise viendra donc de Chine, congelée comme il sied à un fruit d’hiver et acheminée grâce aux firmes spécialisées dans le transport global. Bon, d’accord, il en résulte quelques dommages collatéraux : la dernière fois que les petits Teutons ont bâfré de la fraise chinoise, 10.000 d’entre eux ont chopé une gastro-entérite. Heureusement, l’industrie pharmaceutique allemande fait fabriquer en Inde les médications appropriées. Merci la mondialisation.

Mais l’industrie chinoise ne fabrique pas seulement de la fraise pour écoliers constipés. L’une de ses firmes assemble la quasi-totalité des appareils de téléphonie mobile en usage dans le monde entier. Les volumes sont tels que les grandes marques occidentales obtiennent ces téléphones pour une poignée de quetsches, et nous les revendent au prix de la truffe périgourdine. Voilà pourquoi l’Américain Apple ne sait plus quoi faire de ses 173 milliards de trésorerie dormante : on compatit à ses angoisses. En contrepartie, l’Europe exporte vers l’Empire du Milieu ses spécialités les plus remarquables. Comme la pratique de la grève, que la France a élevée à un très haut niveau de sophistication. Il semblerait en effet que les usines chinoises de Foxconn, le géant taïwanais qui fabrique les composants de l’iPhone, soient affectées par des mouvements sociaux de grande ampleur. Les ouvriers seraient mécontents de devoir travailler le dimanche pour accroître la production, sous prétexte qu’ils se tapent déjà douze heures par jour pour des salaires rikiki. Vous voyez d’ici le tableau. Bon, on ne voudrait pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas : les travailleurs chinois ont bien le droit de vouloir profiter de la mondialisation de la feignasserie. Mais faut quand même pas pousser : voilà déjà un moment que l’on attend la livraison de notre iPhone 5. En foi de quoi serait-il convenable que les Chinois mettent une sourdine à leurs intérêts catégoriels. Sinon, on boycottera leurs fraises laxatives.

La recette du jour

Fruits de saison

Vous êtes émerveillé par la magie de la mondialisation, qui vous permet de déguster des fraises en automne et des cerises en hiver. Mais ces fruits globalisés n’ont aucun goût, sinon celui de la tourista. Préférez les produits de saison d’origine locale : en ce moment, ce sont les pommes, les poires et les scoubidous. Et bientôt, les nèfles.

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