L'art et l'argent

L’art et l’argent

Pour l’évolution de l’espèce humaine, il semble bien que les artistes soient aussi importants que les scientifiques et les philosophes. Ils sont capables de percevoir l’imperceptible, d’exprimer l’indicible, de créer une représentation métaphorique de la société, de ses attentes, de ses croyances, de ses angoisses et de ses rêves. Les artistes sont en même temps des moralistes et des prophètes. Autrement plus pertinents que les économistes, dont le Nobel Robert Solow disait d’eux qu’ils « auront un rôle à jouer tant qu’ils donneront du sens au monde qui les entoure  ». On ne voudrait pas vous fâcher, Robert, par égard à votre grand âge ; mais voilà belle lurette que les économistes ne parviennent même plus à donner du sens à ce qu’ils racontent. Il faut donc les compter au rang des espèces en voie de disparition, probablement à cause de la dégénérescence de l’aire cérébrale où se forme la réflexion. Ils ont perdu l’esprit, en somme. Et sans esprit, pas d’économie.

Les artistes n’en manquent pas, d’esprit. Et ils ne cessent de le renouveler. Témoin cet Irlandais dont Huffington narre la genèse de sa plus récente création. Pris dans la tourmente de la crise, qui a fait naître quantité de friches immobilières et ruiné bien des accédants à la propriété, un certain Frank Buckley, artiste désœuvré à la spécialité non précisée, a résolu de façon originale son problème de logement. Il a édifié la « maison à un milliard  », avec des briquettes de confettis provenant de la destruction de billets de banque usagés. La (petite) maison a nécessité l’équivalent de 1.4 milliard d’euros de vieilles coupures, ce qui lui confère le prix de revient nominal le plus extravagant de l’histoire immobilière, bien que la Banque centrale irlandaise ait généreusement offert la matière première au bâtisseur. L’œuvre qui en résulte, nichée dans le hall d’un local commercial inachevé, témoigne mieux qu’un long discours de la précarité des prix ; elle matérialise les conséquences dramatiques d’une spirale spéculative et illustre superbement la fiction de « valeur », censément attachée au billet de banque. Une parabole lumineuse des dérèglements auxquels conduit la propension naturelle du sapiens à l’outrance. Mais l’artiste nous fait découvrir une qualité insoupçonnée de la monnaie-papier : réduite en confettis et compactée en briques, elle offre un confort remarquable. « Vous pouvez dire ce que vous voulez de l’euro, mais c’est un sacré isolant » dit le maçon monétaire. Fasse le Ciel qu’il ait raison, et que l’euro nous isole des méchants orages qui pointent à l’horizon.

La recette du jour

Le mur de l’argent

Face aux incertitudes des temps présents, vous avez commencé à stocker des billets sous votre oreiller. C’est une bonne idée, continuez. Quand vous aurez accumulé 1.4 milliard, vos créanciers pourront vous déloger : pilonnez vos biffetons et transformez-les en moellons. Vous pourrez alors bâtir un château en Espagne. Ou un modeste pavillon en Irlande. L’argent, c’est sacrément utile.

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