L'Europe de Babel

L’Europe de Babel

Pas étonnant qu’il soit difficile pour les Européens de se mettre d’accord entre eux. Chacun a été façonné par sa propre culture, même s’il n’en reste pas nécessairement grand-chose aujourd’hui. Mais il ne suffit pas que leurs dirigeants aient été formés aux mêmes écoles de commerce anglo-américaines pour unifier leurs points de vue. Voyez par exemple leur rapport aux arts et aux sciences : la Grèce antique a produit des philosophes inusables, des mathématiciens remarquables, des architectes inspirés et des sculpteurs inégalés. Bon, d’accord, les contemporains ont un peu perdu la main : ils ne savent plus compter et croient pouvoir vivre sur le capital de leurs lointains ancêtres. La gestion, ce n’est pas leur truc. Comme les Italiens, qui furent pourtant des administrateurs hors pair quand leurs armées étaient invincibles. Et qui ont produit des peintres inspirés et des musiciens immortels. Maintenant, pour l’art pictural, c’est plutôt le règne des paparazzis ; celui de la romance pour la musique et celui de la conquête des jupons pour la stratégie militaire. La forme évolue, certes ; mais l’esprit demeure.

Et les Français ? Ah, les Français ont tout inventé, sauf l’humilité. C’est bien simple : ils ont excellé dans toutes les disciplines artistiques et intellectuelles. Au point qu’il a fallu bâtir quantité de musées pour exposer les innombrables produits de leurs œuvres, plus celles que Napoléon a piquées aux autres pendant ses campagnes militaires. Pas comme l’Allemagne, qui s’emploie à oublier son passé et s’obstine à vivre dans le présent. Si bien que ses musées ne peuvent offrir que de l’art contemporain, au risque de dérouter ses propres populations. Hier, par exemple, la police de Bad Ems a été sollicitée pour intervenir dans une galerie qui exposait une sculpture représentant le célèbre artiste contestataire chinois Ai Wei Wei : les gens étaient affolés parce qu’il y avait « un cadavre en vitrine ». Le même jour, une technicienne de surface a ravagé l’œuvre de l’Allemand Martin Kippenberger exposée au musée de Dortmund et intitulée « Quand les gouttes d’eau commencent à tomber du plafond ». Il s’agit d’une baignoire maculée de taches, que la femme de ménage zélée a briquée comme un sou neuf, détruisant à jamais une création irremplaçable (l’artiste est décédé). Il y avait pourtant eu un précédent de même nature au musée de Düsseldorf en 1986 : Fettecke ("coin gras"), conçue par l’Allemand Joseph Beuys et représentant une motte de beurre dégoulinante, avait été définitivement nettoyée par une soubrette pointilleuse sur l’hygiène mais hermétique à la création artistique. Voilà le problème, avec les Allemands : vous leur dites architecture et ils vous répondent budget ; vous leur dites allégorie et ils vous répondent plomberie ; vous leur dites art brut et ils vous répondent lessive Saint-Marc. Une communauté culturelle, l’Union européenne ? C’est plutôt la Tour de Babel, oui.

La recette du jour

Européen en brouet

Vous rêvez d’être un vrai Européen. Allez apprendre l’anglais à Malte, l’histoire à Berlin, la cuisine à Londres, la morale à Rome, la gestion à Athènes et la modestie à Paris. Ce ne sont pas des pôles d’excellence, mais vous disposerez ainsi des particularités de l’Européen moyen, un être imaginaire qui cumule les défauts de tous sans afficher les qualités d’aucun.

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