L'opinion insondable

L’opinion insondable

Ce que l’on appelle ordinairement l’opinion publique constitue à la fois le baromètre de la climatologie démocratique et la boussole des autorités publiques. Tocqueville serait bien aise aujourd’hui de constater à quel point sa théorie sur le sujet n’a cessé d’être confirmée par l’usage : le sondage d’opinion est devenu le premier outil de gouvernement. En dépit de sa faiblesse conceptuelle : que vaut l’avis d’un échantillon de citoyens, serait-il statistiquement représentatif de la population entière, si les gens interrogés ne peuvent justifier d’aucune connaissance, ni d’aucune réflexion particulière sur le thème qui leur est soumis ? La limite est ténue entre le vieil adage vox populi, vox dei, et le beati pauperes spiritu des Evangiles de Matthieu – dans la traduction littérale de « heureux les faibles d’esprit ». Si bien qu’il est permis de se demander si un sondage transcrit fidèlement l’opinion commune, ou si le résultat du sondage fabrique l’opinion majoritaire. C’est en quelque sorte une transposition, à la sociologie, du paradoxe immémorial de la poule et de l’œuf, lequel continue d’occuper le quotidien des chicaneurs désœuvrés.

La sacralisation des sondages n’exclut pas pour autant l’esprit critique de ceux qui les analysent. Les sondeurs, que l’on devrait appeler sondagistes pour la rime avec bagagistes, transportent dans leur chariot la collection d’avis recueillis. Mais il ne suffit pas d’une addition pour déterminer l’opinion. S’agissant d’une consultation politique, par exemple, il convient de corriger les résultats des variations saisonnières de l’humeur électorale, de la dérive consignée sur les cartes du cabotage et du cabotinage des candidats, de l’âge du capitaine et des souhaits du commanditaire de la consultation – car un sondeur ne peut se permettre de mordre la main qui le nourrit. Dans d’autres circonstances, il est même permis d’affirmer que l’opinion est complètement à côté de la plaque. C’est ce qui ressort de l’étude annuelle de Robeco, conduite par l’Ifop, sur la façon dont le public perçoit la hausse des prix. Figurez-vous que le pékin estime l’inflation à un niveau presque quatre fois supérieur au calcul officiel et il avoue que son pouvoir d’achat s’en trouve sérieusement amputé. Faut-il soupçonner l’Insee de ne plus savoir compter ou le citoyen lambda de se faire des idées ? Ni l’un ni l’autre, probablement ; tous ont sans doute raison dans leur appréciation. Il faut plutôt chercher la bonne réponse dans le panier de référence de l’Insee : c’est celui d’une ménagère virtuelle, la mulier oeconomica qui fait les courses de son homo oeconomicus de mari, avec la rationalité d’un ordinateur sophistiqué. Mais cette ménagère, vous ne la rencontrerez jamais dans les rayons du supermarché.

La recette du jour

Vox populi en pâté

Dans votre entreprise, vous êtes confronté aux récriminations incessantes de vos employés. Commanditez un sondage et analysez vous-même les réponses. Après retraitement des données, correction des âneries saisonnières et élimination des opinions outrancières, publiez un résultat conforme à vos attentes : ce sera l’opinion commune que vous promettrez de respecter. Vous aurez enfin la paix.

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