L'Unesco dans notre (...)

L’Unesco dans notre assiette

Feu l’historien Pierre Chaunu fixait à environ 40.000 ans l’antériorité de notre espèce de sapiens : c’est l’âge de la plus ancienne tombe intentionnelle que l’on ait inventoriée. Avec l’émergence de préoccupations d’ordre métaphysique, nos ancêtres faisaient ainsi un pas de géant pour se distinguer des autres animaux. Ce n’est pas que l’Homme ainsi façonné ait abandonné la sauvagerie consubstantielle aux espèces animales ; mais il était désormais conscient de sa barbarie. Ce qui est incontestablement un progrès. Avec l’émergence de pratiques cultuelles, nos lointains aïeux faisaient naître ce qu’il est désormais convenu d’appeler leur culture. Il aura fallu attendre très longtemps pour que la diversité desdites cultures soit reconnue et considérée comme respectable. Au moins officiellement. Car c’est en 2003 que l’Unesco a fait adopter sa « Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », ouvrant ainsi la voie à « de nouvelles approches de la compréhension, de la protection et du respect du patrimoine culturel de l’humanité  ». Pour qu’il ait paru nécessaire de légiférer sur le sujet, il fallait sans doute que les singularités culturelles fussent incomprises, méprisées et écrasées sous le rouleau compresseur du modèle culturel invasif de qui-vous-savez. Un modèle qui gagne ses parts de marché à la puissance des armes et de la finance, ainsi qu’au recours intensif à la propagande.

Le souci honorable de préserver la diversité ouvre toutefois un boulevard à des dérives cocasses. Comme en témoigne cet article bien documenté du Monde, notre pays serait menacé de perdre le bénéfice de l’inscription, sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, du repas gastronomique des Français. L’Etat se serait en effet montré négligent dans le suivi du « plan de gestion » auquel il est astreint, afin d’assurer la sauvegarde de l’élément en cause du patrimoine culturel. Car le repas gastronomique, ce n’est pas seulement une démonstration des talents inimitables de nos grands chefs : selon l’Unesco, « Il s’agit d’un repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, l’art du " bien manger " et du " bien boire " ». Mince, alors : il ne suffit donc pas de déguster des mets délicieux arrosés de nectars divins pour caractériser l’excellence de la cuisine française. Il y a aussi la manière de le faire, que nous avons apparemment sous-estimée, pour avoir sans doute trop sacrifié au hamburger arrosé d’un soda marronnasse – une pratique qui ne nécessite aucun cérémonial. Il semble que les juges du goût de l’Unesco aient surtout été froissés par l’utilisation commerciale que les Français auraient faite de leur inscription, en portant sur leurs plats le sigle PCI (Patrimoine culturel immatériel, ne pas confondre avec Parti communiste italien). Profiter du label de l’Unesco pour faire du business ? C’est en effet très vulgaire. Et totalement inutile : le raffinement légendaire de notre gastronomie suffit à sa réputation.

La recette du jour

Tambouille de réputation

Vous ne savez même pas cuisiner un œuf sur le plat mais vous êtes Français. A ce titre inscrit sur la liste de l’excellence gastronomique de l’Unesco. Abandonnez votre activité, assommante et peu lucrative. Montez un restaurant français à l’étranger. Servez à vos clients un rata joliment décoré, agrémenté de salamalecs et chèrement facturé. Vous aurez du succès.

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