La Chine et la rhétorique

La Chine et la rhétorique

On ne voudrait pas critiquer, ni se montrer désobligeant, ni mettre la Chancellerie dans l’embarras. On ne voudrait pas compromettre les flux commerciaux en ces temps de vaches maigres, ni risquer de tarir le flux de capitaux dont notre pays a besoin pour boucler ses fins de mois. Mais entre nous, vous ne trouvez pas qu’ils en font un peu trop, les Chinois ? Certes, personne ne conteste leur remarquable performance économique, qui leur vaut de disposer de la plus grosse cagnotte en devises du monde. Personne ne met en cause la profondeur de leur culture, la sagesse de leur philosophie, l’impérialisme de leur pâté et l’excellence de leur blanchisserie. Mais aujourd’hui, il n’est pas un seul domaine qui échappe à leur prétention de faire mieux que tout le monde. C’est agaçant, à la fin. Les Français auraient pu devenir prospères en leur vendant un peu d’humilité, s’ils n’avaient sottement claqué leur stock depuis l’Antiquité.

La Chine prétend damer le pion à ses concurrents avec ses limousines de luxe, ses trains à grande vitesse, ses avions de ligne et de combat, ainsi que ses navettes spatiales. Alors que les Européens ont oublié comment assembler un pousse-pousse. C’est malin. La Chine dispense désormais son avis sur tout, jusqu’à la notation des Etats – et la France a récemment écopé d’une banane. Merci l’amitié franco-chinoise. La Chine vient de revendiquer le record de longévité matrimoniale, avec les noces de granit (90 ans de mariage) d’un couple de la province de Guizhou (respectivement 106 et 109 ans) : une preuve éclatante de leur supériorité en matière de qualité de vie (et de fidélité conjugale). Et summum de l’insolence, voilà que les vignerons chinois viennent de provoquer en duel leurs homologues bordelais. Dans une dégustation à l’aveugle à Pékin, les quatre premières places ont été décernées à des vins du pays. Bravo. Mais en ayant fixé les règles de la compétition en fonction du marché chinois, où les prix sont modestes et les flacons étrangers taxés à près de 50%, les crus les plus prestigieux du Ningxia ont été confrontés à des bordeaux de cinquième division. Ainsi, claironner que les Ningxia ont battu les bordeaux, c’est pratiquer la synecdoque dans la rhétorique mercatique, et ainsi assimiler quelques vins anecdotiques à la totalité d’une appellation. Chez nous, on appelle ça de la mauvaise foi. Les Chinois devraient savoir qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, celui qu’ils servent en rouleaux et en toute saison. Ce n’est pas parce qu’ils ont acheté Anelka, au prix d’une barrique de Château Lafite, que Shanghai sera demain championne du monde de foot. Comme le bon vin, la vanité doit être consommée avec modération.

La recette du jour

Fortune à la chinoise

Vous avez compris qu’il est temps pour vous de conquérir le marché chinois, qui compte le cinquième de la population mondiale. Faites laquer vos canards par les meilleurs artistes français et mettez-vous en compétition avec les gargotes pékinoises. Faites bâtir un nid d’hirondelle par Jean Nouvel et concourrez avec les gâte-sauces chinois. Vous y gagnerez une réputation sulfureuse et une honnête fortune.

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