La cote de l'espérance

La cote de l’espérance

On trouve à Jeff Bezos, le fondateur de la librairie en ligne Amazon, une ressemblance frappante avec John Law, le génial inventeur de la finance moderne. Vous voyez qui : celui de la rue Quincampoix. Un visionnaire qui continue d’inspirer notre contemporain Ben Bernanke, le patron de la Banque fédérale américaine. Lequel sera probablement contraint à l’exil, comme son illustre prédécesseur, quand il aura achevé de ruiner ses adeptes par l’émission de tombereaux de monnaie gagée sur la roupie de sansonnet. Mais revenons à Amazon : son titre a dévissé hier, sur la Bourse américaine. Car ses ventes de l’année dernière n’ont progressé « que » de 41%, alors que les analystes, qui ne lisent plus un seul livre depuis la fin de leurs études, attendaient davantage. C’est un phénomène de même nature qui provoqua la chute de Law : le dividende offert sur les actions de la Compagnie des Indes représentait environ 40% du nominal des titres, émis un an plus tôt. Mais un pourcentage ridicule par rapport au cours vertigineux atteint sous l’effet de la spéculation. Finalement, notre espèce continue, comme au XVIIIe siècle, d’investir dans des chimères plutôt que de capitaliser son expérience.

John Law paya son échec du bannissement et de la ruine. La monarchie française ne fut pas tendre à son égard, bien qu’il eût rendu un service considérable au pays en réduisant la dette publique – énorme à la fin du règne de Louis XIV – à des proportions que n’ose pas ambitionner le gouvernement grec actuel. La monarchie britannique n’est guère plus tendre, aujourd’hui, avec les banquiers déchus. Après avoir naguère élevé au rang de chevalier Fred Goodwin, alors président de la Royal Bank of Scotland, la Couronne vient de le biffer de l’Ordre de l’Empire britannique. Il est vrai que le renflouement de RBS a coûté un paquet de joyaux au Trésor, ce qui est assez shocking. Ne l’appelez plus « Sir Fred  », s’il vous plaît : c’est désormais interdit par Sa Très Gracieuse Majesté. La déchéance du titre est un phénomène exceptionnel, une sanction réservée aux traitres avérés (Anthony Blunt) ou aux criminels patentés (Ceausescu). On ne sait dans quelle catégorie se classe Fred Goodwin. Mais quelle que soit leur intensité, la trahison et/ou les crimes de Fred étaient ignorés tant que RBS engrangeait de l’argent par brassées. Normal : la noirceur d’une âme est invisible quand elle rapporte des intérêts. L’Empire britannique s’est toutefois montré plus magnanime que ne le fut en son temps le Royaume de France avec son banquier loser  : Goodwin a quand même encaissé un parachute de 20 millions de livres. Il ne finira donc pas sa vie sous les ponts de la Tamise, comme Law y fut contraint sous ceux de Venise.

La recette du jour

Banquier à la crème anglaise

Vous êtes légitimement ambitieux : devenez banquier britannique. Faites ce qu’il faut pour gagner beaucoup d’argent, y compris ce que la morale réprouve. Vous serez probablement fait chevalier. Mais si vos acrobaties conduisent la banque à la ruine, vous perdrez l’affection de Sa Majesté. Pour vous consoler de ce drame, demandez une prime de 20 millions de livres.

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